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§ 9. — Agriculture.

Le morcellement du sol qui avait commencé sous l’ancien régime, continué sous la Révolution et qu’augmentèrent plus tard les opérations des spéculateurs englobés sous le nom de « bande noire », n’a jamais correspondu à la répartition de la propriété ; à n’importe quelle époque, on a vu comme maintenant plusieurs parcelles appartenir au même propriétaire et le nombre des propriétaires être moindre que le nombre des parts de propriété. Si la Révolution a cependant élevé le nombre des paysans propriétaires — il y eut fréquemment, dans les achats des biens nationaux, rivalité entre acquéreurs bourgeois et paysans ; les premiers ont dû être moins nombreux que les seconds, mais leurs lots, principalement près des villes, ont été beaucoup plus considérables que ceux des autres — elle les a surtout affranchis des charges qui, avant elle, pesaient sur leurs propriétés. Cette division et cette libération du sol contribuèrent à accroître encore le nombre de ceux qui se livraient à l’agriculture et le prestige de la propriété foncière. Celle-ci prit une importance telle que l’intérêt de ses détenteurs eut une action prépondérante sur le régime politique et social. C’est eux que le gouvernement s’efforça avant tout de rassurer et de protéger ; nous avons dit dans le chapitre précédent que l’article 374 de la Constitution de l’an III leur avait garanti l’irrévocabilité des ventes des biens nationaux. Ils se prononcèrent de leur côté pour les gouvernants qu’ils jugeaient capables de les défendre le mieux contre les velléités de retour à l’ancien ordre des choses ; la conservation de l’ordre économique établi par la Révolution, quels que pussent être les sacrifices à subir par ailleurs, resta leur inébranlable règle de conduite : parlant des acquéreurs des biens nationaux dans un rapport de l’an IX (1801) sur la Seine et les départements environnants, le général Lacuée disait : « leurs plus grands ennemis sont les prêtres » (Rocquain, État de la France au 18 brumaire, p. 255), constatant par là implicitement et la politique faite par les prêtres et la répudiation de cette politique par le paysan.

La possibilité de garder désormais pour eux tout le produit de leur propriété, poussa les paysans à vouloir grossir ce produit, à étendre leurs cultures habituelles et, en particulier, la plus importante, celle des céréales (Décade philosophique du 20 frimaire an IV-11 décembre 1795, t. VII) ; « jamais on n’avait cultivé et ensemencé une si grande étendue de terre », disait, à la fin de l’an II, Robert Lindet dans un rapport cité plus haut (début du paragraphe 7). Mais les paysans agirent sans la moindre méthode. Les bras manquant pour tous leurs travaux, ils avaient appelé les ouvriers des villes, au point que le comité de salut publie crut devoir intervenir à l’égard des ouvriers employés aux ateliers de l’artillerie et des armes : instruit que plusieurs d’entre eux, « cédant à l’appât du gain qui leur est offert par les habitants des campagnes, abandonnent leurs travaux pour se livrer à l’agriculture », le