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plet de leur conduite ; très détaillé, très précis et assez long, cet exposé se terminait ainsi : « Ils ont été entraînés à agir sans être instruits de toutes les circonstances de la susdite affaire ; ils déclarent être dans l’intention que leurs signatures et ces changements auxquels ils ont coopéré aujourd’hui au procès-verbal d’adjudication dont il s’agit, ne puissent nuire ni préjudicier à aucune partie, leur vœu étant qu’on ne puisse se prévaloir de leur participation à cet égard et que les choses soient rétablies dans le même et semblable état qu’elles se trouvaient être avant ladite participation ». Cela n’empêcha pas le district, dans sa séance du 4 février et sur l’initiative haineuse de Longuecamp, de suspendre de leurs fonctions Devillas, Jaudhuin et Babeuf, et le conseil général de la commune de Montdidier de dénoncer, le 6, le fait à l’administration départementale qui, le lendemain, ratifia la suspension et renvoya l’affaire à l’accusateur public de Montdidier.

Babeuf vint immédiatement à Paris réclamer contre sa suspension. Apprenant que l’affaire était déférée à la justice et se doutant du sort que lui réservaient les jurés et les juges d’un pays où il comptait tant d’ennemis influents, il resta à Paris où Sylvain Maréchal le fit entrer à l’administration des subsistances de la Commune de Paris. Dans la crise de Paris mourant de faim, son austérité, inadmissible de la part d’un homme qui aurait été capable de se laisser corrompre et à laquelle Michelet a rendu hommage, fut à la hauteur de celle de Chaumette et de ses collaborateurs dont notre grand historien a pu écrire : « Ce qui calmait le plus le peuple, c’était le désintéressement connu, la sobriété fabuleuse de ses magistrats » (Histoire du xixe siècle, t. I, p. 10). De l’administration des subsistances de la Commune de Paris, il passa à la Commission des subsistances de la République.

Pendant ce temps, l’affaire suivait son cours et l’accusateur public traduisait devant le jury d’accusation Devillas, Debraine, Nicolas Leclerc, Jaudhuin et Babeuf, les trois premiers comme corrupteurs et Babeuf comme corrompu. Nicolas Leclerc et Devillas seuls comparurent ; cancans insignifiants ou suspects qu’on entend dans presque tous les procès criminels, prévenus cherchant à tirer leur épingle du jeu, fût-ce au détriment des autres, on retrouve tout cela dans le dossier. Le principal argument de l’accusation pour essayer de démontrer l’intention coupable de Babeuf, fut qu’il avait dîné, le 30 janvier, avec Devillas, Debraine et Nicolas Leclerc et avait modifié l’acte après ce dîner. « Pervers ! a écrit Babeuf à ce sujet, combien vous êtes adroits ! combien vous savez tirer parti des circonstances ! Moi, Devillas et Leclerc, juge du tribunal, n’étions pas domiciliés à Montdidier, vous le savez bien ; nous étions donc, par conséquent, obligés de vivre au traiteur ou à l’auberge. Nous nous invitions quelquefois réciproquement, vous le savez encore, et cela était tout naturel entre gens que leurs fonctions rapprochaient ailleurs ; je fus invité par Leclerc à dîner avec lui ce jour-là ; Devillas se trouva du même dîner qui fut fait à table d’hôte, en lieu public, où nous fûmes confondus avec plu-