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se hâte-t-on d’ajouter. Défense est faite aux fabricants « de débaucher les ouvriers les uns des autres en leur promettant des gages plus forts ». Contrairement aux revendications des ouvriers, les fabricants seront libres d’embaucher qui il leur conviendra, de déterminer à leur gré le nombre et l’emploi des apprentis, que ceux-ci soient « fils d’ouvriers ou autres ». Le salaire sera payé « par jour effectif de travail et non sur des usages émanés de l’esprit de corporation, de coterie ou de confrérie, réprouvé par la Constitution ». Et enfin, pour contrecarrer le désir des ouvriers qui auraient voulu commencer leur travail à une heure ou deux heures du matin, « afin d’avoir leur liberté après midi » (Germain Martin, Les associations ouvrières au xviiie siècle, p. 87), obligation pour les ouvriers « de faire le travail de chaque journée moitié avant midi et l’autre moitié après midi », sans qu’ils puissent « forcer leur travail sous quelque prétexte que ce soit, ni le quitter pendant le courant de la journée ». « Défenses sont faites à tous ouvriers de commencer leur travail, tant en hiver qu’en été, avant trois heures du matin, et aux fabricants de les y admettre avant cette heure, ni d’exiger d’eux des tâches extraordinaires ». C’était là, comme certaines autres dispositions précédentes, la reproduction du règlement royal du 27 janvier 1739. L’imitation du passé dont les formes surannées inspiraient encore trop souvent les revendications ouvrières, se constate également, on le voit, chez les gouvernants et chez les patrons qui les faisaient agir.

Le filage du coton est l’opération industrielle dont la transformation mécanique a eu assez tôt le plus d’extension en France ; on y connaissait cette transformation sous les deux aspects du métier continu et du mule-jenny. Dans le premier, les trois fonctions fondamentales, l’étirage, la torsion et l’envidage ou enroulement du fil, ont lieu en même temps ; dans le second, l’envidage n’a lieu qu’après qu’une certaine longueur de fil a été produite par l’étirage et la torsion de la matière. Le premier, exigeant par sa tension plus de force, était souvent mû à l’aide d’une chute d’eau, d’où le nom de filage hydraulique ; pour le second, on se contentait d’un manège. Le premier s’appliquait aux fibres longues mieux qu’aux courtes et si, généralement, son fil était supérieur à celui du second pour la résistance, il lui était inférieur pour l’élasticité. On compta quelques établissements importants, tous fondés sur le modèle des établissements similaires de l’industrie anglaise dont on subissait l’influence, ceux de Delattre près d’Arpajon, à la tête de la filature qui avait été la première du système continu établie en France, de Decretot à Louviers, de Boyer-Fonfrède à Toulouse, les mule-jennys installés à Orléans et à Amiens. Le 7 frimaire an III (27 novembre 1794), la Convention accordait une subvention annuelle de 10 000 fr., pendant dix ans, à Barneville pour constituer et exploiter une manufacture de mousselines dont le fil devait être produit avec une machine de son invention donnant le n° 61 et au-dessus. Le numéro du fil de coton indique aujourd’hui, dans la pratique,