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votant disposerait d’un bulletin à déposer dans chacune d’elles : par l’un d’eux, dit bulletin de nomination, il désignerait les citoyens qu’il voudrait élire ; par l’autre, dit bulletin de réduction ou de rejet, ceux dont il ne voudrait pas. On dépouillerait, d’abord, ces derniers bulletins et les candidats qui auraient contre eux la majorité absolue des votants, ne pourraient être élus quel que pût être le nombre des bulletins de nomination déposés en leur faveur. Les élus seraient ceux qui, ne se trouvant pas exclus par le résultat de ce dépouillement, auraient obtenu le plus de voix d’après les bulletins de nomination. Un décret du 10 vendémiaire (2 octobre) fixa au 5 brumaire (27 octobre) l’ouverture des séances du Corps législatif ; la République bourgeoise allait dominer en droit comme elle dominait en fait depuis un an.

L’exaspération des royalistes ne fit que s’accroître. Ils avaient espéré que leur campagne aboutirait et que les décrets seraient rejetés. Déçus, ils parlèrent de falsification, quand ils avaient eux-mêmes tout fait pour fausser le scrutin : à Paris, les patriotes avaient été illégalement exclus en grand nombre des assemblées primaires (rapport de police du 21 fructidor-7 septembre, recueil d’Aulard, t. II, p. 222 et aussi p. 234) ; d’après Buonarroti, « une foule de citoyens avaient été expulsés des assemblées » (t. Ier, p. 61) ; dans des départements où fonctionnaient les compagnies de Jésus et du Soleil, où on assassinait toujours, ils n’osèrent pas s’y présenter. Parmi ceux qui prirent part au vote, beaucoup, tout en désapprouvant les décrets, ne se prononcèrent pas contre eux parce qu’ils ne voulaient pas faire le jeu des royalistes. Toutes les sections de Paris avaient approuvé la Constitution ; mais une seule, celle des Quinze-Vingts, avait ratifié les décrets ; aussi les royalistes crurent qu’ils pouvaient agir en maîtres et prendre de force le pouvoir qui légalement leur échappait. La garde nationale livrée, depuis Prairial, à l’influence exclusive de la bourgeoisie, étant favorable aux adversaires de la Convention ; celle-ci, pour sa défense, ordonna, le 6 vendémiaire (28 septembre), aux troupes conservées sous les ordres du général Menou après les événements de Prairial et cantonnées près de Marly, de venir camper dans la plaine des Sablons, devenue le lieu dit Sablonville, près de la porte Maillot. Il n’y avait pas tout à fait 4 000 hommes disponibles.

La section Lepeletier invita les électeurs à ne pas tenir compte du décret les convoquant pour le 20 et à se réunir le 11 (3 octobre) dans la salle du Théâtre-Français (sur l’emplacement actuel de l’Odéon). Cette réunion, quoique 32 sections sur 48 y eussent adhéré, n’aboutit à rien ; mais elle était l’indice d’une rébellion persistante. Il devenait nécessaire d’aviser. Les comités de salut public et de sûreté générale chargèrent, le même jour, une commission de cinq membres composée de Merlin (de Douai), Le Tourneur, Daunou, Barras et Collombel, « des mesures d’exécution relatives à la loi ». Enfin on fit, avec mauvaise grâce il est vrai, appel à ceux que, jusque-là, on avait traqués impitoyablement et environ 1 500 patriotes, donnant un grand