Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/123

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son gré en Pologne et en Turquie ; ce fut l’insurrection polonaise de Kosciuszko (mars 1794) qui empêcha l’envahissement de l’empire ottoman par Souvorov.

Un des premiers actes du gouvernement national de Kosciuszko occupé à se maintenir contre la Russie, la Prusse et l’Autriche, avait été d’envoyer un délégué auprès de la Convention. Mais Kosciuszko était déjà vaincu par les Russes (10 octobre 1794), lorsque le comité de salut public chargeait, le 21 brumaire (11 novembre), Pierre Parandier d’une mission secrète auprès des insurgés polonais. Ses instructions étaient d’ajourner leur reconnaissance officielle en leur promettant toute l’aide possible ; elles portaient : « La République française ne refusera point à la Pologne les secours directs que sa propre position pourra lui permettre d’accorder, pourvu qu’elle ait la garantie que ces secours serviront à la cause de la liberté » (Révolution française, revue, t. XVII, p. 566). Mais, après la défaite de Kosciuszko, Souvorov prenait d’assaut un faubourg de Varsovie, Praga (4 novembre), où, digne prédécesseur du militarisme international qui ensanglanta atrocement la Chine (1900), il faisait égorger près de vingt mille personnes, et la cause polonaise était perdue. Pendant plusieurs mois, la Russie qui s’était, le 3 janvier 1795, mise d’accord avec l’Autriche, négociait avec la Prusse et, le 24 octobre, le troisième partage de la Pologne n’en laissait plus rien subsister ; le roi Stanislas-Auguste abdiquait le mois suivant. La Pologne tomba victime de sa mauvaise organisation sociale et surtout de l’avidité de ses nobles et de ses riches sacrifiant le salut de leur pays à la conservation de leurs privilèges. Règle générale, les dangers auxquels s’est trouvée partout exposée l’indépendance nationale ont été accrus par les manœuvres égoïstes de la noblesse et des privilégiés ; c’est sans doute ce qui autorise leurs rejetons à dissimuler aujourd’hui leur cupidité héréditaire sous le masque du nationalisme.

Les événements de la Pologne, où il éprouvait des échecs (28 août-6 septembre 1794), avaient décidé le roi de Prusse, Frédéric-Guillaume II, à mettre fin à la guerre contre la France. Battu à cette même époque du côté du Rhin, il en était arrivé à redouter sur ce point, autant que la défaite, des succès qui aboutiraient à l’agrandissement de l’Autriche ; ses embarras financiers ne lui permettaient pas de mener une double guerre, et il tenait surtout à pouvoir librement soigner ses intérêts en Pologne où, comme dut l’avouer Pitt en février 1793, il employa une partie des millions que lui avait déjà versés l’Angleterre pour combattre la France. Il tenait beaucoup aussi à toucher jusqu’à la fin les 2 200 000 francs que l’Angleterre lui avait promis par mois pendant les neuf derniers mois de 1794. Or le versement d’octobre n’ayant pas été opéré, Frédéric-Guillaume qui, d’après l’historien allemand H. de Sybel (Histoire de l’Europe pendant la Révolution française, traduction Dosquet, t. II, p. 258), « avait avant tout le sentiment de ses devoirs comme prince de l’Empire », « se décida immédiatement à rappeler Mœllen-