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eu dans l’insurrection de Juin, écrit-il, autre chose que de mauvais penchants ; il y a eu de fausses idées. Beaucoup de ces hommes qui marchaient au renversement des droits les plus sacrés étaient conduits par une notion erronée du droit. Ils croyaient sincèrement que la société est fondée sur l’injustice et ils voulaient lui donner une autre base. C’est cette sorte de religion révolutionnaire que nos baïonnettes et nos canons ne détruiront pas ». Les rêves de réorganisation sociale pouvaient être après cela ajournés à une époque lointaine et indéterminée ; la bourgeoisie et le prolétariat avaient, dans leur corps à corps, acquis la pleine conscience d’eux-mêmes et du large fossé qui les séparait pour de longues années, fossé désormais plein de sang et plus encore de haines et de rancunes.



CHAPITRE IX


LES CONSÉQUENCES POLITIQUES DES JOURNÉES DE JUIN


La République est morte, disait Lamennais au lendemain des journées de Juin. « Je suis navrée, écrivait George Sand… Je ne crois plus à l’existence d’une République qui commence par tuer ses prolétaires ». La République gardait quand même un semblant de vie ; mais elle était atteinte d’une de ces lésions profondes et inguérissables qui font de l’existence une lente et douloureuse agonie.

A l’étranger, énorme fut le retentissement du canon qui avait éventré les maisons du faubourg du Temple et du faubourg Saint-Antoine. La victoire de l’ordre en France fut une victoire de la réaction universelle. Cela fut considéré par les uns comme une expiation, par les autres comme un reniement du 24 Février, par tous comme une déchéance de Paris, la ville révolutionnaire, conductrice des peuples, patrie des persécutés, rendez-vous des novateurs et terreur des immobilistes de tous pays. Les rois, dont les trônes avaient chancelé, comprirent la portée de l’événement. La France, suprême espérance des nations opprimées, n’était plus à craindre pour leurs oppresseurs. Elle se condamnait elle-même à ne plus intervenir en leur faveur. Elle abandonnait sa place à l’avant-garde. En vérité, autant et plus que le 9 Thermidor sous la première Révolution, ces lamentables journées marquaient un point d’arrêt et un changement de direction dans la marche des nations européennes.

Dans la province française l’effet ne fut pas moindre. Stupeur, inquiétude, désarroi. Battues dans les bois, pareilles à des chasses au loup, en quête de brigands imaginaires. Méfiance et colère contre ce Paris aussi changeant et redoutable que l’Océan. Qu’est-ce encore que ce communisme qu’il a la prétention d’imposer ? Une lettre ouverte, publiée par un volontaire qui a suivi la garde nationale de Caen contre l’insurrection parisienne, contient ces phrases menaçantes : « Si Paris ne nous comprenait pas, s’il était assez