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travaux de terrassement. À ces mesures « draconiennes » s’ajoutent la suppression du bureau de secours et du bureau médical, l’augmentation de moitié dans le prix des chaussures et des vêtements vendus aux ouvriers, la suspension de tous les travaux entrepris sur les chantiers. E. Thomas court chez Falloux pour lui prédire le choc effroyable qui va s’ensuivre à bref délai. Falloux répond que ces craintes sont exagérées. Est-ce tout ? Pas encore. La Chambre s’est, en sus, prononcée pour le rétablissement de l’impôt détesté sur les boissons, en dépit de Duclerc qui lui dit : « Cela vous amènera des coups de fusil, soyez-en certains. » Paris, le 22 juin, par une coïncidence qui n’est peut-être pas l’effet du hasard commence la discussion sur le rachat des chemins de fer, et Montalembert, qui, depuis le 24 février, n’avait agi que dans la coulisse, croit l’occasion bonne pour faire sa rentrée parlementaire par un discours où il le dénonce comme le commencement du communisme. Le parti catholique assumait ainsi par deux de ses principaux chefs, une lourde responsabilité ; l’un réclamait impérieusement la dissolution immédiate des Ateliers nationaux ; l’autre s’efforçait de supprimer la suprême ressource escomptée pour occuper les 100.000 sans travail accumulés dans Paris. C’était un double et signalé service rendu à la réaction.

On devine l’effet de ces provocations multiples. Les ateliers s’agitent comme un nid de guêpes bouleversé d’un coup de pied. Dès le 21 au soir, ils se réunissent avec les délégués des corporations et ils décident pour le lendemain une protestation en masse. En effet ; dans la matinée du 22, au nombre de douze à quinze cents, bannières en tête, ils s’acheminent vers la place du Panthéon, qui est le lieu du rendez-vous. Une partie sous la conduite d’un de leurs lieutenants, Louis Pujol, se dirige vers le Luxembourg. Ce Pujol, ancien chasseur d’Afrique assez indiscipliné, a signé, après le 15 mai, une brochure intitulée : Prophétie des Jours sanglants et là, en style biblique imité de Lamennais, il a flétri l’accueil que les puissants de la terre ont fait aux revendications des ouvriers. « Ils vous ont dit : Nous avons le droit de vivre en travaillant — et vous leur avez répondu : Nous avons le droit de vous laisser mourir de faim ou vous travaillerez comme nous le voudrons. » C’est pourquoi il annonce comme imminente une tempête civile d’où la Liberté doit sortir radieuse. Harangueur de réunion publique, il devient le porte-parole de ses camarades et, introduit avec quatre autres délégués devant Marie, le père des Ateliers nationaux, il veut exposer leurs griefs. On refuse de l’écouter. Il s’obstine, déclare que les ouvriers sont décidés à tout, même au sacrifice de leur vie, pour ne pas retomber sous le joug. « Si les ouvriers ne veulent pas partir pour la province, s’écrie Marie, nous les y contraindrons par la force… par la force, entendez-vous ? »

Hélas ! la menace n’a été que trop bien entendue et comprise, Pujol rend compte de sa mission à ses camarades. On va se redisant que Marie a traité de canailles les délégués des ouvriers. Et bientôt de longues processions