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Dissolution immédiate ! Négligeant ce qui doit en être le complément, la presse réactionnaire s’empare de cet arrêt formulé par un républicain. Elle sonne avec joie le glas des ateliers nationaux, et, toujours d’après Goudchaux, elle accrédite l’idée de leur peuplement par des chômeurs volontaires qui obéissent à des meneurs socialistes. En vain Louis Blanc proteste ; en vain les ouvriers, dans une affiche du 18 juin, disent une fois de plus leur volonté de travailler, si on veut leur fournir du travail ; en vain ils demandent ce qu’on fera des 110.000 hommes qui vont subitement se trouver sans moyens d’existence : « Les livrera-t-on aux mauvais conseils de la faim, aux entraînements du désespoir ? » Le branle est donné. La commission spéciale nommée par la Chambre, et qui a pour président Goudchaux, pour rapporteur Falloux, prend la direction de tout, fait comparaître devant elle Trélat, Lalanne, Emile Thomas. Dans ce milieu fermé des paroles vives sont prononcées. Les ouvriers y sont traités de malfaiteurs. On y dit aux députés : « Il faut en finir ! N’oubhez pas que vous allez discuter le rachat des chemins de fer. » Trélat combat cette précipitation inhumaine, rappelle que ces ouvriers sont des frères, Peine perdue. Est-ce imprudence ? Est-ce désir d’une explosion ? Certains représentants s’acharnent à jeter de l’huile sur le feu. L’un d’eux, nommé Turch, dépose des propositions agressives, méprisantes : « Dans les trois jours tous les forçats libérés, qui se trouvent en rupture de ban dans le département de la Seine, seront renvoyés à leur résidence légale, sous peine d’être déportés. — Dans les cinq jours, tous les ouvriers qui ne sont pas domiciliés à Paris depuis un an, seront renvoyés dans leur commune. — Tous ceux dont l’aisance fera constatée seront poursuivis comme voleurs. Même les ouvriers pauvres seront punis s’ils ne font pas, dans les cinq jours, la déclaration du temps depuis lequel ils résident dans la capitale. — Tous les autres rentreront immédiatement dans les ateliers privés. Des secours seront accordés aux patrons pour la reprise des travaux. — Toute grève est désormais interdite et sera punie comme une rébellion. » Cette série de mesures féroces, il est vrai, suivie d’un vaste programme de projets en faveur des ouvriers, mais sans date d’exécution et sans teneur précise. On faillit voter en bloc. Mais le développement de ces propositions fut renvoyé au vendredi 23 juin. Hélas ! C’est la guerre civile qui, ce jour-là, devait répondre à ces provocations.

Quelques minutes plus tard, Falloux lit le rapport de la commission parlementaire. Il se plaint des lenteurs du Gouvernement, demande qu’à l’avenir on vote million par million les fonds nécessaires pour la paie des ateliers nationaux, et il réclame pour la commission dont il est membre une prolongation de pouvoir. Il déclare qu’il n’y a aucun lien entre la dissolution et le rachat des chemins de fer. Il laisse entendre, du reste, qu’il y a un second rapport tout prêt, si le gouvernement se refuse à agir. La Commission exécutive et le ministre sont sous le couteau. Trélat répond que des convois d’ouvriers sont déjà partis, que d’autres sont prêts à partir. Justement on vient de déposer sur le bureau une pétition de 835 ouvriers qui aspirent à s’en aller en Algérie. Il offre sa démission