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édifiée et qu’il ne veut pas détruire. Mais, le 25 au soir, il apprend que le ministre institue une seconde commission des ateliers nationaux, avec pleins pouvoirs pour proposer « toutes les mesures qui, sans porter atteinte au principe sacré de la garantie du travail, lui paraîtront les plus propres à diminuer les charges qui pèsent sur l’État. » C’était une révocation déguisée. Craignait-on qu’Émile Thomas n’essayât d’entraver la besogne de la nouvelle commission ; qu’il n’abusât de son influence sur les ouvriers pour les soulever en faveur d’un prétendant qu’on commençait à redouter ? Déjà des protestations d’ouvriers avaient paru dans les journaux contre des projets qui ne pouvaient manquer de s’ébruiter. Toujours est-il que, dans la soirée du 26 mai, Emile Thomas est mandé au ministère des Travaux publics, sommé par Trélat d’écrire sa démission ; puis, séance tenante, sans avoir la permission de rentrer chez lui, expédié en poste à Bordeaux entre deux agents de police, sous prétexte d’y remplir une mission technique. Ainsi séquestré, enlevé par une espèce de lettre de cachet, il est encore arrêté sur la route par ordre télégraphique, puis relâché, puis retenu plusieurs jours à Bordeaux d’où il ne peut revenir qu’après le 4 juin, date de l’élection législative où il était candidat sur la même liste que Louis Napoléon et où il ne fut point nommé.

Dans l’intervalle il a été remplacé comme directeur par Lalanne, ingénieur des Ponts et Chaussées, ce qui est une revanche de l’École Polytechnique sur l’École Centrale. Mais alors la Commission exécutive paraît changer complètement d’opinion sur la dissolution des Ateliers nationaux. Elle ne la veut plus immédiate. Autant elle était pressée de les supprimer, autant elle se montre soucieuse de procéder avec prudence et lenteur.

À quelle cause attribuer cette volte-face ? À un changement dans la situation potitique de la Commission exécutive. Elle s’était d’abord abandonnée au courant de réaction qui coulait comme un torrent ; puis elle avait senti qu’elle risquait d’être entraînée, balayée par lui et elle essayait de se retenir aux branches. Déjà ses membres les plus modérés étaient victimes d’insinuations pareilles à celles qui avaient été lancées contre Albert et Louis Blanc ; on reprochait à Marie de se pavaner dans le palais du Luxembourg ; on accusait Crémieux, Lamartine d’acheter des forêts, des châteaux. L’existence du gouvernement était menacée par des intrigues, non seulement bonapartistes, mais parlementaires. Des timorés se plaignaient de ne pas être assez gouvernés ; des habiles exploitaient cet appétit d’un pouvoir fort, laissaient entendre qu’on avait besoin d’un sabre, et, se rapprochant des conservateurs de la rue de Poitiers, le groupe du Palais National songeait à une combinaison où sombrerait ce Gouvernement provisoire qui s’opiniâtrait à se survivre sous un autre nom. Il s’agissait de faire un nouveau pas en arrière, de remettre le pouvoir à une nuance plus pâle de républicains. Les conservateurs poussaient à la roue tant qu’ils pouvaient. Ils étaient inquiets des desseins de la Commission exécutive. Elle annonçait en effet l’intention de faire voter l’impôt progressif, la réforme hypothécaire, l’extension des