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de terrassement. Pour y entrer, l’ouvrier sans ouvrage, sur le vu d’un certificat de son logeur ou de son propriétaire, visé par le commissaire du quartier, obtenait à la mairie de son arrondissement un bulletin d’admission. S’il réussissait à rencontrer quelque besogne à faire, il touchait un salaire de 2 francs par jour ; s’il revenait sans avoir pu être employé, il recevait un secours de 1 fr. 50. Pour éviter les fraudes et les courses inutiles, on avait peu à peu centralisé les demandes en deux bureaux. Un ancien élève de l’École centrale, Emile Thomas, qui avait des attaches bonapartistes et s’avouait lui-même un républicain du lendemain, eut l’idée de compléter cette centralisation. À Marie, ministre des travaux publics, à Garnier-Pagès, maire de Paris, il exposa l’idée saint-simonienne d’organiser militairement les ouvriers et, avec leur pleine approbation, dès le 5 mars, il obtint le titre de Commissaire de la république ; la direction d’un bureau central qui devait être un bureau de placement gratuit et universel et qui fut installé dans des bâtiments vides du parc Monceaux ; puis le droit de passer des traités avec les entrepreneurs. Il divisait ensuite les ouvriers par escouades, brigades, lieutenances, compagnies, services et arrondissements, et il donnait rang d’officier dans cette armée industrielle à ses jeunes camarades de l’École centrale, devenus ses auxiliaires.

Dès le début, on pouvait redouter cette agglomération, sur un même point, de milliers d’hommes en chômage, cette concentration bureaucratique qui devait amener la création d’emplois superflus, l’inertie ou la mauvaise volonté du corps officiel des ponts et chaussées où l’on regardait avec beaucoup de dédain et un peu d’hostilité des ingénieurs sortant d’une École qui n’était point un établissement d’État. Or c’était ce corps auquel Emile Thomas avait demandé qu’on enlevât son monopole, qui disposait des travaux possibles et il ne paraît pas avoir fait des efforts d’imagination pour occuper la foule croissante des sans-travail, évaluée déjà, le 15 mars, à 14.000 personnes ; car, en fait de besogne utile à leur confier, on ne trouvait que ceci : replanter les arbres abattus pendant la bataille, niveler quelques rues ou places ; de quoi employer 2.000 travailleurs au plus. Pour les autres, on proposait la construction d’un grand cirque pouvant contenir 20.000 spectateurs. E. Thomas ajoutait des chemins de ronde à caillouter le long des fortifications. C’était tout et c’était peu, étant donné que les chômeurs appartenaient aux professions les plus variées. Dès ce moment on réduisait à un franc le secours pour ceux qui ne travaillaient pas et on leur promettait du travail un jour sur deux, ce qui aurait pu suffire encore, si la promesse n’eût été illusoire.

A partir de cette date il faut diviser l’histoire des Ateliers nationaux en deux périodes, l’une qui finit avec le Gouvernement provisoire, l’autre qui va jusqu’à leur dissolution.

Dans la première, ils ont un rôle politique et un rôle économique. En matière politique, ils sont un instrument entre les mains du parti modéré. On fait de leurs bataillons une force conservatrice. On se sert d’eux pour diviser le