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Barbès, Albert courent à l’Hôtel de Ville. Des listes d’un nouveau gouvernement sont fabriquées et jetées par les fenêtres. Mais, au 24 Février, la garde nationale était avec le peuple ; ici elle était contre. Au 24 Février, la Chambre dissoute était usée par de longs scandales et ne représentait qu’une petite partie du pays ; ici elle était toute neuve et elle émanait du suffrage universel régulièrement consulté. Odilon Barrot raconte qu’un des manifestants, cordonnier de son état, s’assit à son côté en lui disant : « N’êtes-vous pas nos commis ? Et ne nous est-il pas toujours permis de venir vous demander des comptes ? » — Là était l’erreur. C’est une condition et un vice du système parlementaire que le peuple-roi abdique sa souveraineté pour un temps entre les mains de ses mandataires et qu’il ne peut, à volonté, tumultuairement, leur retirer la procuration dont il les a munis.

Le peuple de Paris n’était pas d’ailleurs le peuple de France. Il était même fort loin d’être le peuple de Paris tout entier. Au son du rappel, les légions des quartiers riches sont accourues ; les troupes suivent ; les gardes nationaux de la banlieue, de Melun, de Caen, d’Amiens sont en route. La Chambre est dégagée ; l’Hôtel de Ville repris. Barbès arrêté, avec Albert, Raspail, Sobrier, est conduit au donjon de Vincennes, où Blanqui les rejoindra quinze jours plus tard. Huber relâché, est en fuite. Alors, sous prétexte qu’elle défend la représentation nationale, la réaction bourgeoise se déchaîne avec frénésie. Le général Courtois, incapable peut-être ou trop humain pour un général, mais non pas traître, est outragé, frappé, à demi étranglé par ses propres subordonnés ; on lui brise son épée, on lui arrache ses épaulettes ; on veut le dégrader et le jeter à la Seine. Louis Blanc, qui s’est opposé de toutes ses forces à l’invasion, mais qui est coupable d’être l’homme du Luxembourg, l’idole des ouvriers l’incarnation du socialisme, est, dans la Chambre même, assailli par des furieux en uniforme ; les vêtements en lambeaux, les cheveux arrachés, les doigts tordus, il échappe à grand peine sauvé par des collègues ; mais, quand il veut parler, sa voix est couverte par des clameurs insultantes. Et toujours retentissent les cris : A bas les communistes !

C’est au tour des gardes nationaux de sauver la société. Il avait été de mode, sous Louis-Philippe, de railler ces soldats citoyens pour leur peu d’empressement à faire leur service. Un inventeur avait imaginé pour eux un fusil modèle qu’on peut voir au musée Carnavalet et dont la baïonnette se transformait en un parapluie tricolore. Cela pouvait passer, en ce temps-là, pour l’emblème de ces troupiers pacifiques. Mais ces moutons devenaient terribles, depuis que leur intérêt de classe était en jeu. La garde nationale était ressuscitée le 16 avril, suivant l’expression de Lamartine. Maintenant, comme écrit le général de Castellane, « elle est maîtresse », et elle le fait bien voir. C’est à son tour de sauver la Société. De sa propre autorité, elle ferme les clubs de Blanqui, de Villain, de Sobrier ; elle saccage le domicile de ce dernier et y saisit des projets de décrets dont la teneur, si elle est exacte, semble annoncer qu’on a eu la vague idée d’une révolution communaliste et socialiste. Pendant plusieurs jours, Paris est sous le coup