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faut pas jouer avec l’action et ils suivent leurs troupes plus qu’ils ne les mènent. Ils annoncent hautement, comme Huber, que la manifestation sera pacifique et se contentera de présenter une pétition.

Une première fois, le 13 mai, un long cortège se met en route et s’arrête place de la Concorde. Mais on recommence le lundi 15 mai. Que s’est-il passé dans l’intervalle ? Faut-il croire, avec Ledru-Rollin, à un désordre voulu par des agents bonapartistes qui espèrent pêcher en eau trouble pour le compte de ceux qui les paient ; avec Raspail, à un ténébreux dessein de la police, de Marrast et des modérés, désireux de compromettre irrémédiablement les révolutionnaires parisiens ; avec d’autres, à un machiavélique calcul de Blanqui et de quelques chefs de clubs, escomptant une résistance, des cadavres et le renouvellement du tragique scénario qui avait provoqué la chute de la monarchie ? Voulait-on seulement (ce qui parait le plus probable) envelopper, intimider l’Assemblée et la contraindre à délibérer sous la pression des masses populaires ? Toujours est-il que la colonne des manifestants part de la place de la Bastille sans savoir ce qu’elle va faire. Le général Courtois, nommé de la veille commandant en chef de la garde nationale, a donné des ordres imprécis, contradictoires, si bien qu’il n’a pas sous la main les forces nécessaires pour barrer la route. Il essaie par de bonnes paroles d’arrêter la colonne qui ne l’écoute pas et franchit le pont de la Concorde non défendu. Un bataillon de gardes-mobiles protège le Palais-Bourbon. Va-t-il user de ses armes ? Le général recule sans doute devant l’horrible nécessité de verser le sang de ses concitoyens. Il laisse ou fait mettre la baïonnette au fourreau, les assaillants escaladent ou entr’ouvent la grille. D’autres font le tour du monument. A l’instant même où Wolowski, auteur de l’interpellation qu’on discute ce jour-là réclame, au nom de la justice, l’émancipation de la Pologne, la salle est envahie. En vain Ledru-Rollin, Lamartine, et, avec l’autorisation du Président Bûchez, Louis Blanc essaient-ils de calmer et de faire sortir les envahisseurs. Louis Blanc, applaudi, non obéi, est porté malgré lui en triomphe. Cependant Raspail monte à la tribune et lit la pétition. Après lui Blanqui veut parler. Barbès le devance pour féliciter le peuple d’avoir reconquis le droit de pétition et pour inviter l’Assemblée à faire ce qu’on lui demande. Puis, quand Blanqui a pu enfin réclamer l’abolition de la misère et l’organisation du travail, Barbès somme de nouveau l’Assemblée de déclarer la guerre, de décréter un impôt d’un milliard sur les riches, d’éloigner les troupes de Paris. Le tumulte va croissant. Tout à coup un homme au visage pâle et à la longue barbe rouge, un homme qui sort d’un long évanouissement, se hisse à son tour à la tribune et proclame : Au nom du peuple trompé par ses représentants, l’Assemblée est dissoute. C’était Aloysius Huber, personnage énigmatique, professionnel de l’émeute, président de club, qui avait d’étranges relations avec Marie et avec Marrast, qui passa aux yeux de beaucoup pour un agent provocateur et qui ne fut peut-être après tout qu’un déséquilibré !

Le cérémonial des Coups d’État populaires était ainsi suivi à la lettre. Il ne