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méthode et de volonté nette, au lieu de labourer profond, il ne fit que semer des idées sur un terrain mal préparé ; il se contenta de demi-mesures qui ne satisfirent personne et ne rendirent pas impossible tout retour en arrière. Cruelle ironie ! Il avait tout fait pour éviter la guerre civile et il laissait les choses en tel état que la guerre civile était inévitable.



CHAPITRE VI


LES DÉBUTS DE L’ASSEMBLÉE CONSTITUANTE — LE 15 MAI.


Entendez-vous ce tonnerre d’acclamations ? C’est l’Assemblée qui, dans sa première séance, crie dix-sept fois de suite : Vive la République ! et le répète une dix-huitième fois par-devant le peuple, sur le perron du Palais-Bourbon. Mais quel est ce moine que la foule porte en triomphe ? C’est Lacordaire, qui a pris place à l’extrême gauche de la Montagne, d’où il descendra bientôt par la volonté de ses supérieurs. Un catholique, Bûchez, est élu président, et toutes les voix, moins celle de Barbès, et de cinq ou six autres, s’unissent pour décider que le Gouvernement provisoire a bien mérité de la Patrie.

Ce pêle-mêle bizarre pourrait faire illusion sur les dispositions de la Constituante. Mais ses premiers actes en révèlent la vraie nature. Il faut d’abord remplacer le gouvernement. Lamartine a rêvé un triumvirat ; quelques-uns ont rêvé pour lui la dictature, L’Assemblée préfère une commission exécutive de cinq membres, provisoire encore, en attendant que la France soit dotée d’une constitution. Elle comprend Arago, Garnier-Pagès, Marie. Lamartine n’est élu que le quatrième, parce qu’il n’a pas voulu être le docile exécuteur des rancunes conservatrices, parce qu’il a défendu et fait nommer son collègue radical Ledru-Rollin. C’est encore un essai de concentration républicaine, mais sur une base plus étroite, puisque l’élément socialiste en est banni. C’est le gouvernement provisoire continué, mais diminué, amputé, purement tricolore sans rosette rouge. En même temps, l’Assemblée a refusé — avec des murmures — la création d’un ministère du Progrès, et elle a ressenti un malin plaisir à voir cette proposition de Louis Blanc combattue railleusement par l’ouvrier catholique Peupin. Elle ne fera pas, même aux projets élaborés par le Luxembourg et déposés sur son bureau, l’honneur de les discuter. Elle a passé à l’ordre du jour sur les affaires de Rouen et choisi Sénard, celui qui a commandé le feu, comme un de ses vice-présidents. On sent chez elle une défiance à l’égard du peuple une défiance à l’égard du Gouvernement. Elle défend qu’on apporte des pétitions à sa barre. Elle confère à son président le droit de requérir la force publique et de choisir un commissaire spécial pour veiller à sa sécurité. Elle a été sur le point