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d’initiative hardie. Elle n’avait pas non plus voulu leur imprimer le caractère d’un service public, devenant un monopole de l’État, exploité et administré directement par lui en vue surtout de l’intérêt général. Cela n’était pas dans l’esprit d’un temps et d’un pays où le pouvoir politique était aux mains et s’exerçait au profit d’une aristocratie d’argent. On avait estimé que les lignes de chemin de fer, partie détachée de la propriété nationale, devaient un jour faire retour au domaine public ; on les avait, en conséquence, concédées pour des périodes variables (99 ans, 70 ans, etc.) à des Compagnies particulières, assujetties à certaines charges et à un contrôle officiel, mais qui recevaient en revanche des subventions, garanties et secours. L’État, qui s’engageait à construire l’infra-structurce des voies, était à la fois le collaborateur, le protecteur et le surveillant des Compagnies.

La construction, faite dans ces conditions qui devaient tenter le capital, avait donné lieu à une fièvre de spéculation, à un agiotage effréné, à des scandales retentissants où avaient été compromis les plus gros personnages du royaume. Le rejaillissement de ces tripotages financiers avait éclaboussé jusqu’à des ministres, jusqu’à des hommes de l’entourage du roi. De plus les affaires avaient été si mal conduites que plusieurs Compagnies se trouvaient arrêtées, faute de fonds, et se sentaient incapables de mener à bien les travaux dont elles étaient chargées. Ainsi par la force des choses se posait cette question : L’État devait-il user de la faculté de rachat qui lui était garantie par contrat ou du droit d’expropriation pour cause d’utilité publique, droit imprescriptible qu’il n’avait ni voulu ni pu aliéner ? Or le rachat et l’exploitation des chemins de fer par l’État n’étaient pas seulement au nombre des mesures réclamées par la Commission du Luxembourg ; ils figuraient, avec l’impôt progressif et l’assurance mutuelle et obligatoire, dans le programme du parti républicain, même modéré. Le National en fut dans la presse le principal défenseur. Et comme, dès le mois d’Avril, deux Compagnies, celle de Paris-Orléans et celle du Centre, avaient demandé elles-mêmes à résigner leurs concessions et à être mises sous séquestre, comme celle de Paris-Lyon n’était pas en meilleure posture et demandait aussi à être déchargée d’un fardeau trop lourd pour ses épaules, le Ministre des Finances, Duclerc, d’accord avec Garnier-Pagès et la Commission exécutive, déposait dans les premières séances de l’Assemblée Constituante un projet de loi pour le rachat de tous les chemins de fer construits ou en construction.

L’exposé des motifs (17 mai 1848) est une des pages les plus vigoureuses qui aient été écrites contre l’exploitation des voies ferrées par des Compagnies. Il mérite encore d’être lu avec attention et respect.

Duclerc, résumant l’argumentation développée par les républicains et les socialistes, part de ce principe que, dans un régime quelconque, toutes les institutions, — qu’elles soient civiles, économiques, financières — doivent être en harmonie les unes avec les autres. Or des corporations privilégiées peuvent