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c’est ainsi qu’ils créent deux écoles primaires et paient des pensions à des camarades infirmes. D’autres Sociétés (les Castors, les Travailleurs économes, etc.), qui se séparent en groupes indépendants, « en essaims », dès que le nombre des adhérents atteint un certain chiffre, paraissent plus modestes dans leurs visées ; mais, sans prétendre à créer de toutes pièces un organisme mettant directement en rapport et en harmonie la production et la consommation, elles ont bien compris que cette forme de la coopération est un moyen d’enrayer les achats à crédit, ressource ruineuse des ménages pauvres, en même temps que d’obtenir les marchandises à meilleur compte et de meilleure qualité, La loi du 27 mars 1851, punissant la vente à faux poids et la falsification des denrées alimentaires, montre que ces Coopératives ne remédiaient pas à des abus imaginaires. Quoique souvent inquiétées, elles prenaient une importance sérieuse, quand, le 3 décembre 1851, le général de Castellane les supprima purement et simplement, en ordonnant leur liquidation immédiate par devant un commissaire de police. A Vienne, la Société de Beauregard est frappée aussi brutalement quelques semaines plus tard. Ce fut un peu partout le sort de ces « Associations pour la vie à bon marché » ; à Valence, à Montpellier, à Clermont-Ferrand, à Lille, où l’Humanité procure à ses associés des avantages « sur le prix du pain, de la viande, du charbon, des objets les plus essentiels de consommation », à Valenciennes, à Saint-Quentin, à Vervins, à Sedan, où l’épicerie coopérative a 1.400 adhérents, à Nantes, où les boulangers, en vertu de leur monopole, dénient à la Boulangerie sociétaire le droit d’exister, à Paris où s’est fondée la Société des ménages, etc. Elles furent si bien tracassées, pourchassées, persécutées qu’il ne subsiste, à ma connaissance, qu’une seule des Coopératives de consommation écloses alors sur toute la surface de la France. C’est l’Alimentaire de Grenoble. Le maire. Taulier, avec Michel Ladichère et d’autres représentants du peuple, alla voir à Genève une Société du même genre dont on lui avait parlé ; il ne trouva pas un modèle bien tentant ; mais, résolu à marcher de l’avant, il recueillit des souscriptions, fit louer par la ville un local, frapper des jetons, acheter le mobilier et les ustensiles nécessaires, et, le 5 Janvier 1851, la nouvelle société fut installée. Elle a eu la chance de survivre et de prospérer ; elle mérite, ne fût-ce que pour cela, de ne pas être oubliée.

Si le commerce de détail est ainsi sauvé provisoirement d’une rivalité dangereuse, celui qui se fait à crédit, qui compte sur la vente pour payer à l’échéance, est atteint tout d’abord dans ses œuvres vives. Une production excessive et déréglée avait dépassé, avant 1848, les besoins de ceux qui pouvaient acheter. De plus la fièvre de spéculation, qui avait sévi les années précédentes, avait encombré le marché d’une masse énorme de papiers qui étaient de valeur douteuse. Quantité de maisons et d’entreprises, dont les effets dépassaient de beaucoup la solvabilité, ne vivaient que d’une confiance