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l’agriculture française, sinon par ses résultats immédiats, du moins par l’impulsion qu’elle lui a donnée. Lentement transformée au cours du siècle par l’introduction de plantes et de méthodes nouvelles, par le développement des cultures maraîchères et industrielles qui correspond à la croissance des villes, la production agricole, dont l’accroissement régulier fut supérieur à celui de la population, avait été, sous Louis-Philippe, reléguée au second plan par l’essor fiévreux de l’industrie. La secousse de 1848 l’arrache à cette torpeur relative en mène temps que la classe qui s’y voue ; elle les remet toutes deux en honneur et en vue et les lance dans la voie du progrès scientifique et rapide.


La production industrielle subit alors, au contraire, un arrêt notable. L’industrie française avait été, peut-on dire, frappée en pleine mue par la crise européenne de 1847. En beaucoup d’endroits elle passait du régime de la petite industrie à celui de la grande, du travail à la main au travail mécanique. C’était vrai surtout pour la métallurgie et le tissage. La transition, toujours coûteuse pour le patron, parce qu’elle exige un renouvellement d’outillage, toujours pénible pour l’ouvrier, parce qu’elle diminue momentanément le nombre des hommes occupés et permet de les remplacer par des travailleurs moins payés manœuvres, femmes et enfants), avait eu ses effets ordinaires : d’abord augmentation des frais généraux que les patrons essayaient de compenser en augmentant la durée du travail, en diminuant le prix de la main-d’œuvre, en imposant à leurs salariés des retenues destinées à payer le coût des moteurs et de l’éclairage, parfois en commettant des fraudés à leur détriment ; puis surproduction, due à ce que les muscles d’acier des machines ne connaissent point la fatigue et aussi à ce que chaque chef d’entreprise, forcé de les faire travailler sans répit pour ne pas laisser dormir le capital qui s’y trouve incorporé, emporté d’ailleurs par l’excitation de la concurrence nationale et étrangère, leur demandait leur maximum d’activité sans se préoccuper de proportionner la quantité des produits à la puissance d’écoulement des débouchés ouverts. Il s’ensuivait, pour les ouvriers, une situation misérable, dont on peut placer le plus bas degré, en France, aux environs de l’année 1840 ; pour les patrons, une prospérité précaire qui était à la merci du premier engorgement dans le marché encombré. Or, si les petits métiers d’autrefois pouvaient vivre et souffrir isolément, les différentes branches de la production, sous le régime de la grande industrie qui comporte à ses débuts un accroissement dans la division du travail, sont, par là même, solidaires les unes des autres. A supposer que la filature du coton vienne à être suspendue, les tisserands, les mécaniciens, les fabricants de chaudières, les vendeurs de houille, les mineurs, bien d’autres catégories de travailleurs sont atteints du même coup. Le malaise, le chômage se propagent comme une épidémie. La crise économique tourne au désastre.