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ANNÉE NOMBRE DES
PROPRIÉTAIRES
NOMBRE DES
COTES FONCIÈRES
1851 7.845.724 12.394.366


de trois millions, environ la moitié de ces propriétaires, soit dans les villes, soit dans les campagnes, étaient exempts, à titre d’indigents reconnus, de la taxe personnelle. On a ainsi la preuve qu’en ce pays de propriété extrêmement morcelée le lopin de terre, « le mouchoir de poche », ne suffit plus à faire vivre celui qui le possède.

Nous voyons, il est vrai, pendant ces années, augmenter le nombre des têtes de bétail et la production des cocons. Mais l’extraction des matières nécessaires à l’agriculture ou à l’industrie faiblit. C’est le cas pour le sel, surtout pour la houille. Le nombre des tonnes de charbon de terre extraites n’atteint pas celui de 1847. Il y eut, pendant cette période, plusieurs abandons de concessions pour les mines, et cela peut déjà nous faire pressentir que la production industrielle a dû être alors plus gravement atteinte que la production agricole.

Malgré le malaise qui commence à poindre dans les campagnes, la Deuxième République marque pour l’agriculture une revanche sur l’avance énorme que l’industrie et le commerce avaient prise sous le règne de Louis-Philippe. C’est à qui, durant cette époque, essaiera de faire refluer la population des villes sur les villages ; c’est à qui se piquera d’améliorer la situation des campagnards. Ils bénéficient de ce qu’ils forment, à eux seuls, 57 0/0 de la population française (20,352,000 en 1851) et par conséquent la majorité des électeurs. Les conservateurs aussi bien que les socialistes, le président aussi bien que l’Assemblée, les comblent de caresses et de promesses ; et c’est pour leur masse engourdie l’éveil, non seulement à la vie politique et intellectuelle qui pénètre chez eux par le journal, la brochure, l’almanach, la réunion électorale, mais à des désirs tout nouveaux.

L’Enquête ordonnée en 1848 révèle les principaux de leurs vœux. Elle est comme un « Cahier des paysans ». Ils pâtissent avant tout du manque de capitaux. N’ayant pas d’argent, ils en empruntent, mais à de dures conditions. L’usure dévore certains départements, et l’Alsace entière est la proie des Juifs de Bâle. Ils demandent pour remédier au mal des banques agricoles, l’organisation d’un crédit foncier, la réforme du système hypothécaire. Ils dénoncent la cherté grandissante de la main-d’œuvre, causée par le départ des jeunes gens qui s’en vont comme soldats, domestiques, ouvriers, quand ils n’émigrent pas en Afrique ou en Amérique. Scandalisés du fait que deux millions de propriétaires au moins ne cultivent pas eux-mêmes leurs terres, quelques uns demandent qu’on exempte du service militaire le fils aine du paysan, à condition qu’il cultivera lui-même. Ils se plaignent de la cherté des engrais, de l’impôt qui les frappe plus lourdement que les