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travail dans les manufactures. En second lieu, la création d’un Conseil supérieur, dont les membres appartiendraient aux plus hauts corps de l’État et auraient l’initiative des progrès à faire en ce domaine. Ce qu’il faut encore remarquer, c’est un essai d’assistance par le travail qui consistait à ouvrir dans tous les cantons des ateliers temporaires qui, combinés avec l’exécution de travaux publics pour l’État et les communes, remédieraient aux chômages accidentels. On y travaillerait à la tâche et pour des salaires moindres que dans l’industrie privée. C’était, plus prudemment appliqué, le principe même des Ateliers nationaux, quoi que put dire le ministre qui s’acharnait à éviter ce nom mal famé.

Le rapport assez diffus du pasteur Coquerel à ce sujet montre bien la peur qu’on avait de tout ce qui aurait pu ériger l’indigent en créancier de la société. Défense au préfet d’imposer des centimes additionnels aux communes récalcitrantes. Point de taxe des pauvres, comme en Angleterre, Pas de secours à l’ouvrier en cas de grève et pas même dans les crises provoquées par l’introduction des machines dans l’outillage. En somme le projet, modifié et rétréci par la Commission de l’Assemblée, « repose, comme l’écrit le rapporteur, sur une initiation plus complète des classes aisées à l’exercice de la bienfaisance, » Il n’est pas, il ne veut pas être l’acquittement d’une dette sociale.

Si la Constituante sur ce terrain n’ose pas marcher de l’avant d’un pas résolu, la Législative est encore plus timorée. Armand de Melun, qui dans une brochure a réclamé vigoureusement « l’intervention de la société pour prévenir et soulager la misère », et même un ministère spécial chargé d’organiser la protection du pauvre depuis l’enfance jusqu’à la vieillesse, demande dès son entrée à la Chambre, la nomination d’une commission de trente membres pour codifier enfin la charité officielle. Mais, dans cette Commission, où dominent les conservateurs bourgeois et catholiques, il est, pour les idées qu’il professe en la matière, vaguement suspect de socialisme. Ses projets sont critiqués par Monseigneur Parisis, qui voit avec peine l’intrusion de l’État dans un domaine qui a été durant des siècles, comme l’éducation, l’apanage des clergés. La brochure de son coreligionnaire inspire à l’évêque ce cri du cœur : « Tout cet ouvrage est conçu et dirigé comme si l’Église n’existait pas, » Et alors, c’est, sous les coups d’une majorité catholique, la faillite de la démocratie catholique. Les projets du vicomte de Melun ont Thiers pour adversaire et Emmanuel Arago pour défenseur, ce qui, dit le vicomte, achève de les perdre. Plus de vaste plan d’ensemble ! Thiers, nommé rapporteur, débite des phrases sur la Providence, n’admet la charité que volontaire et spontanée, déclare que les régimes antérieurs ont suffisamment rempli leur devoir et laissé peu à faire en ce qui concerne la bienfaisance. Il sabre toutes les promesses de l’article 13, les traite de chimères ou de duperies et il réduit la tâche de l’Assemblée à quelques réformettes anodines.