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boursés. Ces projets eurent le même sort que les précédents. Tout fut abandonné à l’industrie et à la spéculation privées.


L’assistance publique et la charité privée. — De ces lois essayant d’organiser ce que Considérant appelait le garantisme on arrive par une pente insensible aux lois d’assistance proprement dites.

Les besoins étaient énormes. En 1836, à Paris, où affluent les épaves de la province, on comptait sur 1232 personnes 100 indigents, sur 24 décès 9 à l’hospice. Dans l’hiver de 1847, il avait fallu y secourir plus d’un tiers de la population ; des bons de pain furent donnés à 450,000 personnes, et ce fait devrait ouvrir les yeux aux historiens qui persistent à croire que la Révolution de Février n’eut que des causes politiques. Les villes industrielles offraient des misères pareilles ou pires. A Lille, sur trois habitants on en comptait un qui ne pouvait se suffire. La charité privée, par le flot irrégulier de ses aumônes, pourvoyait pour la plus grande partie à ces détresses. Les Églises surtout, conformément à leurs principes et à leurs intérêts, pratiquaient une charité qui était pour elles une vieille tradition et un grand moyen d’influence. Parmi les catholiques, les Sociétés de Saint Vincent-de-Paul et de Saint François-Xavier, étaient les distributrices ordinaires de la manne qui descendait des hautes régions sociales sur les classes inférieures. Parmi eux encore le vicomte Armand de Melun, fondateur en 1847 de la Société d’économie charitable, pouvait passer, comme on l’a dit, pour un professionnel de la philanthropie nationale et internationale ; et plus d’un républicain, comme Trélat, Lamartine, Ledru-Rollin, s’était associé à lui pour soulager le paupérisme. La charité légale s’ajoutait à l’autre. Il existait, dépendant des villes, des départements ou de l’État, des hôpitaux et des hospices, des Monts de piété, des asiles pour les aveugles, les sourds-muets, les aliénés, les enfants trouvés, les orphelins. Il existait aussi, sur 37,000 communes, 7,599 bureaux de bienfaisance, dont 4,000 à peu près fonctionnaient réellement. Mais tous ces établissements avaient des revenus fort inégaux et des administrations séparées, où la responsabilité, partagée entre plusieurs personnes, devenait de fait à peu près nulle ; les secours étaient mal répartis ; ils étaient surtout fort insuffisants ; il y avait là un ensemble à organiser autant qu’à développer.

Nous retrouvons en ce domaine le conflit des doctrines individualistes et des conceptions interventionnistes. On se querella sur le départ à faire entre la charité privée et la charité sociale ; et, comme la première avait surtout un caractère confessionnel, cela tourna souvent à une lutte sourde entre les Églises et l’État.

Il se fit bien tout d’abord, dans la période éphémère où les partis se rapprochèrent, un effort pour démocratiser et laïciser la charité individuelle. De là naquit l’Œuvre des Fraternités ou des Familles, où chaque membre