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augmentèrent de moitié ou d’un tiers la mise des premiers souscripteurs, on ne voit pas que la classe ouvrière ait beaucoup mordu à l’appât. Les prévisions, on pourrait presque dire les espérances de Thiers sur le petit nombre des déposants se réalisèrent. Le versement annuel d’une somme de cinquante francs environ est encore beaucoup pour une foule de petits salariés[1]. Les besoins urgents empêchent de songer aux besoins futurs, et la mise de côté d’un pécule pour ses vieux jours semble être le fait de la petite bourgeoisie plutôt que du prolétariat.


Les Caisses d épargne. — D’ailleurs, les petites gens avaient des raisons récentes de ne pas avoir en l’État une confiance entière pour la garde de leurs modestes économies. L’aventure des caisses d’épargne avait laissé de fâcheux souvenirs. Le 24 février, elles contenaient 355.427.117 francs. Mais le gouvernement de Louis-Philippe avait eu la fâcheuse idée de remplacer les fonds reçus par des titres de rente et des actions ; et lorsque les déposants, sous le coup de fouet de la panique, se présentèrent en masse pour retirer leurs dépôts, ils se trouvèrent en présence d’une caisse impuissante à faire face au paiement à vue. En un seul jour, le 15 mars, il avait fallu rembourser 3.353.544 francs. Le Gouvernement provisoire, victime et solidaire des imprudences du Gouvernement précédent, para comme il put au danger. Il décida (9 mars) que sur les livrets on ne rendrait que 100 fr. en espèces ; le reste serait remboursé en bons du trésor et en rentes 5 0/0 au pair. Mais les bons étaient à quatre mois d’échéance et les rentes avaient baissé considérablement : l’expédient n’était au fond qu’une banqueroute partielle, qui, pour comble de malheur, lésait la classe la plus dénuée d’argent. Il donnait un étrange démenti aux économistes et aux philanthropes qui, depuis longtemps, avaient vanté sur tous les tons aux petites bourses la caisse d’épargne comme une suprême ressource en temps de misère.

Un des premiers soucis de la Constituante fut, au nom de la fidélité aux engagements, de rembourser une dette plus sacrée que les autres, parce qu’elle portait sur le pécule des plus pauvres, Le Comité des finances proposait qu’en échange de leurs dépôts des coupures de rentes 5 0/0 au taux de 70 fr. fussent remises aux déposants. Un peu plus tard, le ministre des finances Goudchaux complétait cette proposition, en demandant que les livrets s’élevant à moins de 70 fr. fussent remboursés en numéraire, et, après discussion, on admettait (5 juillet) l’ensemble de ces mesures, avec un amendement de Duclerc qui fixait à 80 francs, cours du jour, le taux des rentes et le montant des livrets remboursables en argent. Le dommage ainsi réparé tant bien que mal, il fallait l’empêcher de se renouveler. Une loi du 30 juin 1851 interdit aux livrets de caisse d’épargne de dépasser 1.000 francs. En cas que cette somme vînt à être dépassée par l’accumulation des intérêts,

  1. Thiers évaluait à 1 fr. 50 et à moins encore la moyenne journalière des salaires.