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Astouin, représentant des Bouches-du-Rhône, tenta de modifier le texte du Code civil sur le privilège de salaire. L’article 2101 décidait qu’en cas de faillite les gens de service seraient payés avant les autres créanciers. On demandait d’étendre ce privilège aux ouvriers pour le salaire qu’ils avaient gagné pendant les trois derniers mois précédant la faillite.L’ouvrier, disait- on, qui ne partage pas les bénéfices du capital, ne doit pas être non plus exposé à en partager les pertes. Mais la majorité, qui assimilait les ouvriers, quand cela leur était défavorable, aux domestiques, refusa de les mettre sur le même pied, cette fois que l’assimilation eût été en leur faveur. On prétexta qu’accorder aux ouvriers ce privilège serait leur faire tort, parce que les entrepreneurs, menacés d’être obligés de payer tous les salaires dus, ne trouveraient plus aussi facilement à emprunter et par suite commenceraient moins de travaux. Rien donc ne fut changé à ce qui existait.


Le livret. — La question du livret fut aussi soulevée. Dans la crainte qu’on avait de la classe ouvrière, on n’avait garde de lui épargner l’obligation de tenir à jour ce petit livre qui devait être signé du patron, du maire ou du commissaire de police et contenir la liste des avances faites à son employé par l’employeur et garanties par des retenues sur le salaire futur. Alors qu’en Octobre 1848 on exigeait un passe-port de l’ouvrier qui voulait aller d’un département dans un autre, on laissait volontiers peser sur lui la nécessité de porter avec lui, quand il changeait d’atelier, cette espèce de certificat de bonne conduite et de docilité. Nadaud demanda sans succès l’abrogation de cette preuve de défiance à l’égard des travailleurs (mai 1851). On tenta du moins d’atténuer ce qui le mettait, non pas sous la surveillance de l’autorité, mais sous la dépendance économique du patron. Il était parfois, pour peu que l’avance consentie par le patron fût assez forte, prisonnier à vie de sa dette ; il demeurait attaché à la fabrique comme le serf du moyen-âge l’était à la glèbe. Quelques représentants furent d’avis d’interdire toute inscription de ce genre sur le livret. Le ministre proposa de limiter à 30 francs l’avance autorisée, qui en certains cas pouvait être une ressource vitale pour l’ouvrier. Ce fut l’opinion qui prévalut et le livret continua d’exister avec ce léger adoucissement.


Les Conseils de prudhommes. — Quelque soin qu’on prît de maintenir la suprématie des patrons, on était bien obligé de prévoir des différends entre eux et leurs ouvriers et des moyens légaux de les accommoder. Il existait pour cela des tribunaux de prudhommes, du moins pour certaines villes et pour certaines catégories de travailleurs. Flocon, quand il fut ministre du Commerce, essaya d’étendre leur juridiction. Il voulait, de plus, que les prudhommes fussent élus, non plus seulement par les patentés qui étaient presque tous des patrons, mais aussi par les ouvriers et compagnons domiciliés