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La gloire éblouit le patriotisme. Le prestige d’un nom victorieux voile l’attentat contre la souveraineté nationale, la République veut de la gloire sans doute, mais elle la veut pour elle-même et non pour des César ou des Napoléon. » Il rappelait, à l’adresse de Barbes et des néo-conventionnels, que, sous la première Révolution, la guerre avait été la pensée « des monarchiens et des Girondins », et non celle des démocrates plus avancés. Il plaidait, au nom même des besoins de la classe populaire, la cause d’un tranquille et lent développement. « Le peuple et la paix, écrivait-il, c’est un même mot. » Et il comptait sur le temps et la raison pour opérer « la constitution de la fraternité internationale sur le globe. » En fait de prosélytisme, il n’admettait que celui de l’estime et de la sympathie ; il réduisait la France républicaine au rayonnement pacifique de ses principes.

En même temps, toutefois, il faisait des concessions aux belliqueux. Non seulement il jetait au début de son manifeste cette déclaration dictée par un sentiment élémentaire de dignité nationale : à savoir que la République n’avait pas besoin d’être reconnue pour exister ; non seulement il acceptait, sous la pression de Louis Blanc et de la minorité, cette formule, que les traités de 1815, dénoncés sans être rompus, n’existaient plus en droit, tout en continuant à rester en fait la base de ses relations diplomatiques ; mais, de plus, il annonçait en termes vagues que : « Si l’heure de la reconstitution de quelques nationalités opprimées, en Europe ou ailleurs, paraissait avoir sonné dans les décrets de la Providence » ; si l’on menaçait la Suisse, si l’on envahissait les États indépendants d’Italie ; si l’on voulait, à main armée, les empêcher de S’allier entre eux, la France se croirait en droit d’intervenir, au besoin par la force. Les bannis Irlandais et Polonais aussi bien qu’Italiens ou Allemands, pouvaient voir là une demi-promesse et on s’explique que des ouvriers de Lyon aient pu félicite Lamartine de son manifeste.

Pour parer à tout événement, il faisait créer un Comité de défense nationale dont Arago devenait président. Il faisait décider la formation de quatre armées, au Nord, sur le Rhin, à la frontière des Pyrénées, au pied des Alpes ; armées à plusieurs fins, destinées à empêcher toute velléité d’invasion et de restauration et surtout à réprimer toute insurrection ouvrière. L’une d’entre elles pouvait aussi encourager ceux qui travaillaient à l’émancipation et à l’unité de l’Italie. Lamartine leur était sans conteste favorable et ce n’était pas sans motif que le général Oudinot, commandant en chef de l’année des Alpes, disait à ses soldats dans la proclamation qu’il leur adressait : « La République est amie de tous les les peuples ; elle a surtout de profondes sympathies pour les populations de l’Italie. » Mais, de ce côté, Lamartine se heurtait aux défiances de Charles-Albert, roi de Sardaigne, qui craignait plus l’alliance avec la France que la lutte avec l’Autriche. Ce prince avait peur de perdre la Savoie et Nice ; il avait peur également de l’infiltration des idées républicaines parmi ses sujets, et aux propositions de concours armé qui lui venaient de Paris, il répondait par ces paroles