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est-il qu’il se plaignit vivement des exagérations des économistes, se moqua de leur prétention à mieux connaître les intérêts et les désirs des ouvriers que les ouvriers eux-mêmes, déclara qu’on pouvait bien proscrire les trop longues journées de travail, ruineuses pour la santé, puisque déjà l’on avait interdit certaines industries insalubres ; que le principe était, en somme, le même dans les deux cas. Puis, s’appuyant sur les avis de la Chambre de commerce de Rouen, sur les rapports de nombreux préfets, il affirma qu’une limitation de la journée de travail à douze heures répondait à la fois aux besoins réels de l’industrie et aux vœux de la population.

Cette entrée en campagne du gouvernement décida du succès de la bataille. D’autres orateurs, encouragés, vinrent déclarer que, si le socialisme était la peste, ils consentaient à passer pour pestiférés ; que cela valait mieux, après tout, que la doctrine égoïste et purement négative du laissez faire. — Puis ils firent voir que le raisonnement des économistes reposait sur des hypothèses non vérifiées ; que réduction des heures de travail ne signifie pas nécessairement réduction dans la quantité produite, parce que des hommes moins fatigués peuvent produire mieux et davantage. Ils écartèrent le fantôme de la concurrence étrangère, vu que les patrons dans les pays voisins, seraient obligés par leurs ouvriers d’imiter les concessions de leurs confrères français ; une fois de plus l’exemple du progrès serait contagieux et viendrait de France. Quant aux manufacturiers, ils seraient si peu ruinés, que quelques-uns d’entre eux acceptaient déjà l’idée humaine d’établir un minimum de salaire garantissant au moins son existence au travailleur.

Les économistes eurent beau crier qu’ils n’admettaient pas de compromis entre deux principes inconciliables, la tyrannie et la liberté ; qu’ils protestaient contre l’établissement d’un régime despotique digne du pacha d’Égypte. La proposition du gouvernement fut renvoyée à la Commission ; et après un nouveau rapport et une nouvelle discussion, la Constituante adopta le principe de la limitation légale des heures de travail. Des amendements de Cambon, de Pierre Leroux proposèrent de fixer à 10 heures, puis à 11 heures le maximum ; ils furent repoussés à une énorme majorité (616 contre 67). Mais la limite de 12 heures fut acceptée. Il fut admis, en même temps, que dans des cas exceptionnels, avec l’autorisation du maire et du Conseil des Prud’hommes on pourrait la dépasser, mais à condition qu’alors ce travail supplémentaire serait payé à part. Une amende de 5 fr. à 100 fr. devait punir les contraventions ; mais l’amende était multipliée par le nombre des ouvriers indûment employés, sans qu’elle pût cependant s’élever au-dessus de 1.000 francs.

Le repos du Dimanche. — On peut rapprocher de cette réforme la proposition que catholiques et socialistes unis déposèrent pour que le travail fût suspendu de droit durant les jours fériés. C’était pour les uns la sanctification du Dimanche et des fêtes de l’Église. C’était pour les autres la nécessité d’un