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assez à l’aise ; car dix-sept durent et purent fournir 800.000 francs de garantie. Il arriva en plus d’un cas qu’un patron dans l’embarras saisit l’occasion de se faire prêter de l’argent en signant un contrat nominal d’association avec ses ouvriers qui le laissaient gérer l’entreprise à sa fantaisie. Une partie des sommes avancées furent remboursées plus tard (environ la moitié) ; ainsi les typographes de la rue Garancière restituèrent les 80.000 francs qui leur avaient été prêtés.

La liste de ces Associations subventionnées a été dressée ; celle des autres est encore à faire. Autant qu’on en peut juger par des documents incomplets, la production agricole leur échappe entièrement en France ; elles pénètrent dans la grande industrie (mécaniciens, typographes, tisseurs, constructeurs de navires, etc.) ; mais elles se multiplient surtout dans les métiers qui n’exigent qu’un petit capital (ébénistes, peintres en bâtiments, tailleurs de limes, cuisiniers, ferblantiers, coiffeurs, lunetiers, etc). Elles sont, comme il est naturel, concentrées surtout dans les grandes villes. Enfin, elles ont attiré les femmes, puisqu’on rencontre plusieurs Sociétés de production formées de 184S à 1851 dans le département de la Seine par des blanchisseuses, des casquettières, des chemisières, des corsetières, des lingères.

L’histoire de ces Associations serait brève, s’il fallait s’en fier à leurs adversaires. Thiers, dès le mois de septembre 1848 proclamait avec désinvolture la faillite du principe sur lequel elles reposaient. Cela fait penser à ce haut fonctionnaire des postes qui, en Angleterre, lorsqu’on mit le port des lettres à deux sous, déclarait, au bout d’une semaine d’expérience, que la réforme s’était révélée impraticable.

Il nous est impossible de les suivre toutes. Je choisis deux échantillons de types opposés,

L’Association des tailleurs de Clichy, qui fut l’enfant favori de Louis Blanc, eut la chance de rencontrer un gérant intelligent et dévoué, Bérard, un de ces ouvriers au grand cœur comme il n’en manqua pas en 1848. Mais à peine a-t-elle commencé à fonctionner, qu’elle est en butte aux railleries, aux attaques, aux calomnies. Elles viennent d’abord des journaux conservateurs qui accusent ses membres d’être des paresseux, de toucher la paie fournie par la Ville de Paris en travaillant le moins possible. Elles viennent de Proudhon, qui est hostile à ces ateliers d’État ; de Lamennais, qui, égaré par des rapports malveillants, s’attire un vigoureux démenti ; des autres ouvriers, jaloux ou mal informés. A chaque instant l’on annonce que la Société va mal, périclite, ce qui n’est pas de nature à lui amener des clients, et, comme elle n’a pas d’existence légale, elle ne peut poursuivre ceux qui font courir ces faux bruits. Après les journées de Juin, quoique ses membres n’y aient pris aucune part, quoiqu’on n’ait relevé le lendemain que douze absences sur ses deux mille sociétaires, les marchés qu’elle a passés avec l’Administration et qu’elle a fidèlement exécutés jusqu’ici sont cassés dès la fin de Juillet, moyennant