Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/278

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pliât les associations volontaires, qui peu à peu, en prenant de la force, assureraient leurs membres contre le chômage. D’autres disaient que les Ateliers nationaux n’avaient été qu’un expédient, un entrepôt momentané de la population souffrante, qu’il était très possible de faire autre chose et de faire mieux, de coloniser, de défricher, d’ouvrir progressivement à tous les membres de la société l’accès de la propriété agricole et industrielle, etc.

La majorité ne repoussa pas ces moyens vagues d’amélioration qui sont énumérés pêle-mêle dans l’article 13. Mais elle fut inexorable pour le principe du droit au travail. Glais-Bizoin eut beau introduire dans l’amendement de Mathieu de la Drôme ce texte atténué ; « le droit à l’existence par le travail. » L’amendement fut rejeté par 596 voix contre 187. Monarchistes et républicains modérés, doctrinaires et catholiques avaient, pour la plupart, voté contre. Ce qui achevait le sens du vote, c’est que l’article 13, garantissant la liberté du travail et de l’industrie, pouvait être interprété comme déniant à l’État le droit d’intervenir entre ouvrier et patron. Cela était si bien dans la pensée de la majorité qu’un amendement de Jean Reynaud, proposant d’ajouter à cette formule équivoque : « sous la protection des lois et sous la surveillance de l’État », fut repoussé.

Cette élimination du droit au travail fut vraiment le complément parlementaire de l’écrasement du prolétariat aux journées de Juin. L’effet en fut considérable dans tous les pays, où la question sociale s’était posée dans les mêmes termes. « On sentait, écrit Quentin-Bauchart, que le débat renfermait une question de vie et de mort pour la société. Si le triomphe fut difficile, combien n’eut-il pas de retentissement en France et en Europe ! C’était comme la victoire de la civilisation sur la barbarie. »

Le 2 novembre, jour des Morts, le droit au travail reparut devant l’Assemblée. Lors de la seconde lecture de la Constitution, Félix Pyat proposa cet amendement à l’article VIII :


« La République doit protéger le citoyen dans sa personne, sa famille, sa religion, son droit de propriété et son droit de travail. »


Son discours, brillant et agressif, remua plus de passions que d’idées. L’orateur fit cependant remarquer que le travail ne s’opposait nullement à la propriété ; qu’il était, au contraire, un moyen de la généraliser, de la démocratiser. Il fit saillir ce contraste : le droit au travail refusé aux travailleurs par des gens dont beaucoup pratiquaient le droit à l’oisiveté. Il déclara la Constitution manquée, si elle ne proclamait pas, comme toute grande charte humaine, quelque chose de nouveau. Il se fit rappeler à l’ordre en disant que le peuple, créancier de la République, après lui avoir promis trois mois de crédit, était revenu le quatrième, jour pour jour, apporter son protêt au nom de la misère. Félix Pyat n’obtint que 86 voix, parmi lesquelles ne figura même pas celle de Proudhon — 100 voix de moins que Mathieu de la Drôme. La réaction allait vite en ce moment.