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de l’État fabricant, commerçant, agriculteur, entrepreneur ou commanditaire de toutes les industries. La chose est impossible, s’écriait Thiers avec conviction. — C’était éluder le problème avec prestesse. Il s’agissait précisément de savoir si du travail ne peut être assuré à tous par l’organisation de vastes associations professionnelles fonctionnant sous le contrôle de l’État ; mais les socialistes étaient alors une infime minorité, surtout dans l’Assemblée ; ils avaient à parler devant une majorité aussi hostile qu’ignorante de leurs projets ; Louis Blanc était en exil. Pourtant à Thiers qui leur criait : « Sortez enfin de vos nuages, apportez-nous vos idées ! » — Considérant, malade, répondit en relevant le défi. Il croyait posséder le secret de fournir du travail à tout le monde ; seulement il ne pouvait en quelques minutes, dans un discours improvisé, faire assister en quelque sorte à la naissance d’un monde nouveau ; il proposait à l’Assemblée de l’entendre, non pas dans des séances régulières où la discussion des affaires courantes absorbait tout le temps, mais dans quatre séances du soir, toutes facultatives, où viendraient ceux qui voudraient être éclairés à ce sujet. Le président refusa de mettre aux voix cette proposition, en alléguant que l’Assemblée n’était pas une classe ayant besoin de leçons ; et Considérant dut ajourner à beaucoup plus tard l’exposé des moyens pratiques qu’il avait dans l’esprit.

Forts du silence des socialistes, Thiers et Tocqueville déclarèrent que le communisme ne se discutait pas, que c’était la servitude, la mort de l’initiative individuelle, l’arrêt du travail, la transformation de la société humaine en une société d’abeilles ou de castors : que l’association, prêchée par Louis Blanc et appelée par Thiers à huis clos « la plus ridicule de toutes les utopies », avait lamentablement échoué ; que le crédit mutuel et gratuit préconisé par Proudhon était une chimère ; qu’en somme le droit au travail consistait à donner quarante sous par jour aux ouvriers en chômage forcé ou volontaire ; qu’il aboutissait nécessairement aux Ateliers nationaux, et par suite à la guerre civile, à l’insurrection.

Thiers insistait en terminant sur des considérations financières. D’abord le trésor était vide et eût-il été en bon état, qu’on ne pouvait le mettre à contribution ; car il était le trésor du pauvre, formé surtout par l’argent de la classe la plus nombreuse qui était aussi la moins aisée. L’aveu était étrange dans sa bouche. Thiers le risquait dans son désir d’opposer au prolétariat des villes une autre portion du prolétariat. Il soutenait, en effet, que prendre sur le budget pour soulager la misère des ouvriers, c’était faire tort aux paysans.

Ses adversaires, craignant la réprobation que soulevait alors toute idée qualifiée de socialiste, se contentaient de proposer des mesures qui ne devaient imposera l’État ou à la propriété aucun sacrifice grave et durable. Mathieu de la Drôme voulait qu’on encourageât l’agriculture pour faire refluer le trop-plein des faubourgs sur les campagnes. D’autres souhaitaient qu’on multi-