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et l’établissement par l’État de grands travaux d’utilité publique, destinés à employer, en cas de chômage, les bras inoccupés ».


Mais surviennent les journées de Juin. Aussitôt recul. Les bureaux de l’Assemblée sont chargés d’examiner le projet, et huit sur quinze sont d’avis de repousser ce que Considérant a appelé le commencement du droit ouvrier. » Le combat se livra surtout entre Thiers, délégué du troisième, et Crémieux, délégué du dixième ; et quand le Comité, au mois d’Août, révisa le premier texte, le droit au travail fut abandonné à une grande majorité. Aux trois articles qui le reconnaissaient en furent substitués deux autres ainsi conçus :


Art. VIII (du préambule).— La République doit protéger le citoyen dans sa personne, sa famille, sa religion, sa propriété, son travail et mettre à la portée de chacun l’instruction indispensable à tous les hommes ; elle doit l’existence aux citoyens nécessiteux, soit en leur procurant du travail dans les limites de ses ressources, soit en donnant, à défaut de la famille, les moyens d’exister à ceux qui sont hors d’état de travailler.

Art. 13 (de la Constitution). La constitution garantit aux citoyens la liberté du travail et de l’industrie.

La société favorise et encourage le développement du travail par l’enseignement primaire gratuit, l’éducation professionnelle, l’égalité de rapports entre le patron et l’ouvrier, les institutions de prévoyance et de crédit, les associations volontaires et l’établissement par l’État, les départements et les communes de travaux publics, propres à employer les bras inoccupés ».


Marrast avait dit dans son rapport : « La forme est changée ; le fond reste le même. » Rien n’était moins exact et personne ne s’y méprenait. D’une part un droit formel pour l’individu non propriétaire se transformait en un élastique devoir d’assistance sociale envers « les nécessiteux ». D’autre part, l’engagement de fournir du travail aux sans-ouvrage était remplacé par celui de protéger les citoyens dans leur travail, ce qui était chose toute différente. Enfin, au lieu des garanties accordées aux prolétaires, il n’y avait plus qu’une vague promesse « de favoriser et d’encourager le développement du travail. » C’est sur ces textes édulcorés que s’ouvrirent les débats à l’Assemblée. Déjà Jean Reynaud avait amorcé la discussion, en proposant une sorte de contre-projet, dans lequel il était dit entre autres choses : les lois « ont pour but d’assurer à tous les membres de la société, par l’action des particuliers ou de l’État, les conditions naturelles de vie : la propriété, la famille, le développement physique, intellectuel et moral ». En conséquence, « la subsistance sera garantie à tous les citoyens, moyennant un travail convenablement limité. » Mais, sans voter sur le fond, l’Assemblée passa à l’ordre du jour. Les débats ajournés vinrent en leur temps, brillants et solennels ; on y attachait une importance que prouve suffisamment cette phrase de Thiers : « C’est l’humanité entière qui nous entend ».

La vraie bataille s’engagea sur un amendement déposé par le bon démocrate Mathieu de la Drôme. Il consistait à remplacer l’article VIII par celui-ci :


« La République doit protéger le citoyen dans sa personne, sa famille, sa religion