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Après les théories il est temps d’aborder les lois et les faits économiques. Nous les classerons en trois catégories, selon qu’ils se rapportent à la production, à la circulation, à la répartition de la richesse.



CHAPITRE III


LA PRODUCTION
LE DROIT AU TRAVAIL


Chaque époque a sa façon de poser les problèmes qui la tourmentent et il serait aussi puéril que superflu de lui reprocher de ne pas les avoir posés autrement. Les hommes de 1848, idéalistes et rationalistes, devaient donner une forme juridique aux aspirations des travailleurs vers une meilleure organisation sociale. Ils ont dit : « Tout membre de la société doit pouvoir subsister. S’il n’a pas de propriété, il a le droit de vivre par son travail. » Ils ont donc demandé à la société de reconnaître et d’inscrire dans la Constitution le droit au travail.

Il ne faut pas dire, comme on l’a dit quelquefois : Qu’importe un nouveau droit sur le papier ? Cette reconnaissance théorique donnera-t-elle à manger à ceux qui meurent de faim ? — Non, sans doute ; mais la proclamation d’un droit nouveau est toujours chose grave. Même non réalisé, même restant à l’état d’article non observé du pacte social, le droit ainsi reconnu et consacré est comme la pierre d’attente d’un édifice futur. Le fait seul qu’il est formulé inquiète la conscience de ceux qui le violent, soutient et stimule les réclamations de ceux qui en désirent la mise en œuvre. Il ne permet pas d’oublier, il maintient à l’ordre du jour le problème dont il apparaît comme la solution idéale. Les hommes de ce temps-là ne s’y trompèrent point. Partisans et adversaires du droit au travail le défendirent et le combattirent avec un égal acharnement. Et, en effet, l’admettre ou le rejeter, c’était affirmer que la Révolution de 1848 devait être ou n’être pas sociale.

L’idée en remontait au moins jusqu’à Montesquieu. N’a-t-il pas écrit : « Quelques aumônes que l’on fait à un homme nu dans les rues ne remplissent pas les obligations de l’État, qui doit à tous les citoyens une subsistance assurée, la nourriture, un vêtement convenable, et un genre de vie qui ne soit pas contraire à la santé. « On pourrait la noter chez Rousseau : « Tout homme a naturellement droit à ce qui lui est nécessaire. » On la retrouverait dans l’ordonnance rendue par Turgot en 1776 et, naturellement, elle avait reparu plus nette au temps de la première Révolution, au moment où le travailleur devenant citoyen ne voulait plus de l’aumône, mais réclamait, au nom de la dignité humaine, la faculté de gagner sa vie en travaillant. A la Constituante de 1789, Target avait proposé cet article qui devait figurer dans la