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égalité de droits, comme à une personne équivalente. Cabet se prononce dans le même sens avec quelque hésitation. Seul Proudhon fait schisme avec sa violence accoutumée ; il déclare qu’il aime mieux la femme prisonnière que courtisane et il la claquemure implacablement, avec toute sorte de respects, dans les étroits soucis du ménage. Malgré lui la revendication des droits de la femme reste partie intégrante du programme composite qui devient celui du socialisme.

Ce programme se décolore soudain, dès qu’on passe aux autres groupes. Les démocrates acceptent, un peu au hasard, sans ligne de démarcation très nette, la socialisation de certaines catégories d’entreprises, telles que les mines, les chemins de fer, les assurances. Ils peuvent poursuivre, de concert avec les socialistes, l’adoption de certaines mesures qui tendent à diminuer l’inégalité économique. Mais ils ne vont pas jusqu’à désirer qu’elle disparaisse.

Quant aux avocats du régime bourgeois, on sait comment ils accueillirent des doctrines où il n’est question que de sa mort. L’inégalité leur parut bonne à perpétuer ou à restaurer en matière politique et en matière de savoir. Les ouvriers, les paysans demeurèrent parqués dans leur situation inférieure. Le droit du père de famille sur ses enfants fut l’argument sur lequel on fonda la soi-disant liberté de l’enseignement. Quant aux femmes, il fallut que Schœlcher rappelât que la France était la patrie de Mme de Sévigné et de Mme de Staël pour qu’on ne leur ôtat pas le modeste droit d’adresser une pétition à la Chambre.


§ 3. Opinions des trois groupes sur le rôle de l’État. — Demandons encore aux différents groupes que nous avons distingués quelle part de pouvoir ils veulent laisser à l’État soit sur les choses soit sur les personnes.

Les socialistes s’accordent à donner le libre développement et le plein épanouissement de l’individu pour le but final de leurs efforts. Ils poursuivent la disparition de l’État-gendarme, ou, en d’autres termes, la transformation radicale de son rôle. Ils veulent, comme disait Saint-Simon, substituer l’administration des choses au gouvernement des hommes. Mais comment atteindre à cette émancipation de tous les membres de la société sans cesser de pourvoir aux nécessités vitales de la société même ? Faut-il pour cela recourir à la puissance de l’État ? Et faut-il la fortifier ou bien l’affaiblir jusqu’à l’annihiler ? Deux questions connexes qui provoquent des réponses variées.

Ici les socialistes se partagent entre deux directions ; l’une vient de Saint-Simon qui espérait une révolution s’accomplissant par en haut ; l’autre, de Fourier qui la voulait s’opérant par en bas. De là un courant autoritaire et un courant libertaire.

Parmi ceux qui comptent sur l’intervention de l’État, non point pour asservir les gens, mais pour être artisan de justice et créateur de liberté