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de la civilisation, afin d’y conformer l’action politique. La Fédération communiste pousse à bout ces opinions.

L’école est réaliste par son interprétation du passé comme par sa vision de l’avenir ; elle explique tous les événements par le jeu des intérêts matériels. La façon dont un peuple produit la richesse, dont il organise le travail, détermine la façon dont il possède, dont il organise la propriété, et de là dépendent sa religion, sa morale, sa vie de famille, ses arts. Cette théorie qu’on a nommée plus tard le matérialisme historique, quoique formulée très nettement au temps de la première Révolution par Barnave et, depuis, par Saint-Simon, par l’économiste Blanqui, était demeurée dans l’ombre ; elle passe ici au premier plan ; elle devient le pivot du système, le point d’appui de toute une politique qui se formule ainsi : La Constitution économique de la société se reflète à toute époque dans une classe sociale qui exerce le pouvoir à son profit. Le progrès se fait par son renversement à l’avantage d’une autre classe jusqu’alors exploitée, opprimée, mais à qui les formes nouvelles de la production donnent une puissance nouvelle aussi. Or la bourgeoisie aujourd’hui régnante a pour adversaire la classe prolétarienne aspirant à la détrôner. Il faut donc que celle-ci se constitue en parti indépendant et conscient, jusqu’au jour où, devenue la plus forte, elle fera la conquête du pouvoir politique et, par cela seul, supprimera définitivement les classes, puisqu’au dessous d’elle il n’y en a plus d’autre. Donc la fusion des classes pour but, ce qui est l’essence de tout socialisme ; mais, pour moyen, la lutte des classes, l’emploi de la force, la révolution éclatant à propos et par suite des crises économiques qui résultent du machinisme et de la surproduction. Pourtant point de conspirations ni de coups de main à la Blanqui ; une longue et radicale transformation qui ne peut s’opérer que par une alliance entre les travailleurs du monde entier. Le manifeste se termine sur ces mots fameux : Prolétaires de tous pays, unissez-vous !

Malgré sa prétention d’être fondé sur les faits, non sur des théories, malgré son dédain des Messies descendant du ciel pour apporter la bonne parole, il garde encore des allures prophétiques. Il prédit la révolution finale à brève échéance, il annonce que le signal en partira d’Angleterre. Plus tard, en 1850, un nouveau manifeste, émané de la même source, attend l’initiative « du coq gaulois », et cette prophétie, à la veille du Deux Décembre 1851, ne sera pas plus heureuse que les deux autres. On peut voir là l’empreinte de son milieu natal sur ce socialisme, qui n’en reste pas moins alors isolé des autres écoles, avec un caractère plus sec et plus tranchant, mais aussi plus précis et plus scientifique.

Chez les démocrates, chez les simples réformistes on retrouverait, atténués, tous les courants que nous venons de signaler. Idéalistes et mystiques abondent parmi eux. Lamartine, Hugo, Jean Reynaud, Barbés chantent, décrivent ou admettent la transmigration des âmes et leur lente ascension