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Régulus, ne revient pas, et, au dire d’Odilon Barrot, s’en va négocier à l’Élysée sa nomination de Conseiller d’État. D’autres députés ont été conduits à Mazas, d’autres à Vincennes, et, comme à leur passage dans le faubourg Saint-Antoine, des ouvriers font mine de vouloir les délivrer, ils les supplient de n’en rien faire. On comprend que ces prisonniers amoureux de la prison aient pu, quelques jours après, être ramenés et relâchés dédaigneusement en plein Paris. D’autres représentants encore, et parmi eux Montalembert, Billaut, Baroche, se laissent mettre de la Commission consultative par laquelle le prince remplace provisoirement l’Assemblée. Le Conseil d’État proteste. La Haute Cour se réunit, nomme un président, un procureur, puis, comme des soldats pénètrent dans la salle où elle siège, elle s’ajourne à une date indéterminée.

Telle fut la résistance légale. Cependant des représentants, moins gais que ceux de la majorité, essaient d’organiser la résistance par les armes. Ce sont des Montagnards mêlés de quelques modérés : Baudin, De Flotte, Schœlcher, Victor Hugo, Eugène Sue, Madier de Montjau, Mathieu de la Drôme, Esquiros, Carnot, Jules Bastide, etc. Ils courent les faubourgs, impriment et affichent des proclamations, poussent à construire des barricades. Ils rencontrent des sympathies, mais inertes. « Que voulez-vous que nous fassions ? disent les ouvriers du faubourg Saint-Antoine ; on nous a désarmés après juin 1848. Il n’y a pas un fusil dans le faubourg. » D’autres ont ricané en voyant coffrer les députés royalistes, leurs vieux ennemis. Reprenant à l’adresse des membres de l’Assemblée les lazzi qu’ils ont appris de la presse bourgeoise, ils disent aux représentants, qui, dans la matinée du 3, les invitent à la révolte : « Croyez-vous que nous allons nous faire trouer la peau pour les vingt cinq francs ? » — « Vous allez voir comme on meurt pour vingt-cinq francs », réplique Baudin, et il tient parole, tué sur la première barricade à côté de Schœlcher et de Madier de Montjau blessés. Plus tard Denis Dussoubs, un revenant de Belle-Isle, frère d’un représentant malade, usurpera son écharpe et le droit de mourir à sa place. Parmi ceux qui tomberont ça et là, les deux tiers seront quand même des ouvriers.

La journée du 3 fut la journée critique. Saint-Arnaud a fait afficher une proclamation où il accuse les ennemis de l’ordre de vouloir « le pillage et la destruction. » Ce sont presque les expressions textuelles de Senart et de Marrast aux journées de juin. Maupas annonce que les attroupements seront dispersés sans sommation et il publie cet arrêté laconique : « Tout individu pris, construisant ou défendant une barricade, ou les armes à la main, sera fusillé. » C’est la pratique des journées de Juin généralisée, et Saint-Arnaud se plaint qu’on fasse des prisonniers malgré ses ordres. En dépit ou à cause de ces menaces, la population fermente. Si les délégués des Associations coopératives, dupes du décret qui restitue le droit de vote au peuple, se contentent d’appeler les travailleurs aux urnes, le Comité central des Corpo-