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elle rappelait qu’entre un Napoléon et l’armée il y avait communauté de gloire, de malheur, de destinée. Ainsi effort pour capter la faveur du peuple sans trop effrayer la bourgeoisie, appel à l’obéissance, à la vanité, aux rancunes militaires, tel était le double aspect sous lequel se présentait le nouveau régime.

Paris apprenait encore, mais lentement, par bribes, que, pendant la nuit, une soixantaine de représentants — ceux qui passaient pour les plus actifs — avaient été surpris à domicile. Thiers, l’imprudent apologiste du XVIII Brumaire, véritable chef de la majorité ; puis les généraux Changarnier, Bedeau, Lamoricière, Cavaignac, le colonel Charras ; avec eux les Montagnards les plus énergiques, Greppo, Nadaud, Lagrange etc. Les arrestations s’étaient faites sans bruit, presque sans violence. « Ce fut, écrit ironiquement Odilon Barrot, un des plus brillants exploits de notre police française. » Le premier moment de stupeur passé, les représentants restés libres essaient de s’entendre, de se grouper. Un certain nombre, la plupart de la droite, se rassemblent chez Daru, puis chez Odilon Barrot, et rédigent une accusation de haute trahison, dont plusieurs signataires deviendront bientôt des fonctionnaires du régime impérial. La maison est cernée. Ils tentent de se réunir dans leur salle ordinaire. Dupin, leur Président, est resté paisiblement chez lui, se disant arrêté et s’écriant : « Si j’avais eu quatre hommes et un caporal à mes ordres, je les aurais fait tuer. » On l’amène presque malgré lui ; on lui passe son écharpe ; mais il se contente de dire : « Nous avons pour nous le droit ; mais ces messieurs ont la force ; il faut nous en aller. » Repoussés par les soldats, les membres de l’Assemblée finissent par se concentrer dans la mairie du Xe, située à l’entrée de la rue de Grenelle.

Là ils délibèrent, délibèrent ; sur la proposition de Berryer, ils décrètent la déchéance du Président, ils confèrent à Oudinot le commandement suprême et lui donnent pour chef d’état-major un républicain, Tamisier. Mais la majorité a toujours peur du peuple ; elle recule devant l’appel aux armes que propose Pascal Duprat. Pas de révolution ! Une simple protestation suffira. C’est-à-dire : Des mots ! Point d’actes ! Des soldats paraissent. — « A Mazas ! crient des voix. nombreuses. Qu’on nous emmène tous ! » Après de vains pourparlers avec des sergents, des capitaines, des commandants, les protestataires se rendent, se font faire prisonniers, se laissent conduire sans résistance, au nombre de 218 ou 220, à la caserne du quai d’Orsay. Il semble qu’ils soient heureux d’être débarrassés du fardeau de leur liberté et du danger des résolutions viriles. Plusieurs collègues viennent d’eux-mêmes solliciter l’honneur d’être sous les verrous. Valette, l’un d’eux, s’écrie : « J’ai deux titres pour être arrêté : Je suis représentant du peuple et professeur de droit. » Ce qui est peut-être plus spirituel qu’héroïque. Le soir, on en transporte une partie au Mont-Valérien, en voiture cellulaire comme des malfaiteurs : « Décidément je ne tutoierai plus Morny », dit