Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/226

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Telle est à ce moment la soif de repos que la population subit ces fantaisies. Et cela permet de ramener à leur juste valeur les craintes inspirées par l’échéance de 1852. Il fut beaucoup question, au cours de l’année 1851 d’un « mouvement démagogique », duquel il était urgent de sauver la société. Ce mouvement imaginaire n’a été qu’un prétexte et la preuve en est dans les rapports mêmes qui furent demandés alors aux procureurs généraux. Bien que par métier et par désir d’avancement ils fussent enclins à grossir les moindres désordres, la plupart déclarent que la tranquillité n’est ni troublée ni menacée dans leur ressort. En réalité, tout moyen de résistance avait été savamment brisé entre les mains des républicains. « Que faire, dit avec fierté Castellane, dans une ville où douze personnes ne peuvent pas se réunir, sans risquer de se voir jeter en prison ? » Le peuple, sur toute la surface de la France, était réduit à l’état de poussière humaine, et en comparant cette masse d’atomes sans cohésion aux forces centralisées qui agissaient sur elle, on pouvait, avec plus de raison encore que Thiers à l’Assemblée, dire : L’Empire est fait !



CHAPITRE XV


LA FIN DE LA REPUBLIQUE. LE COUP d’ÉTAT DU 2 DÉCEMBRE 1851


Durant l’année 1851 bien des choses annoncèrent un prochain changement de régime. Une nouvelle crise économique frappa la France, atteignit Paris où les affaires avaient repris, et la province où le capital boudait encore. Le blé plus cher rendit la vie plus difficile. Beaucoup de fabriques étaient arrêtées, beaucoup d’ouvriers sans travail et sans pain. Une panique industrielle se faisait sentir en Angleterre comme sur le continent. Le commerce, qui s’était lancé dans la spéculation avec une furie téméraire, était enrayé pour plusieurs mois. Cet état de malaise, compliqué par l’incertitude de la situation politique, était propice à tout acte décisif qui installerait un gouvernement fort et solide, quel qu’il pût être.

Restait à savoir au profit de qui et de quelle manière s’accomplirait le changement. Cela fut l’objet d’un conflit permanent et de plus en plus aigu entre le Président et l’Assemblée. L’Assemblée procède par taquineries, marchande ou refuse au Président l’argent dont il a besoin pour ses maîtresses, ses voyages, ses largesses intéressées, l’oblige à dissoudre sur le papier ses bandes d’assommeurs, mais recule devant toute mesure de défense efficace, parce qu’elle se sent impopulaire, parce qu’elle est incurablement divisée en deux fractions qui se suspectent et s’épient avec une jalouse obstination.

Le prince procède par une alternance affolante de protestations d’honnêteté et de paroles menaçantes ; il forme et renvoie des ministères qui sont toujours autres et toujours les mêmes, comme une compagnie dont on chan-