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d&portés le droit de les accompagner ; ce ne doit être qu’une faveur que gouvernement sera libre de refuser en protégeant les familles contre « les dévouements imprudents ». Baroche souhaiterait que la loi fût rétroactive ; qu’elle permît de nouvelles sévérités contre les insurgés de Juin. L’Assemblée n’ose pas aller jusque-là ; mais la magistrature l’appliquera quand même à Gent et à ses amis, condamnés à Lyon pour un complot antérieur a sa promulgation.

Démocrates et socialistes étaient réduits à protester contre le réseau de fer qui allait se resserrant autour des libertés publiques. Mais la majorité n’en avait cure. Elle avait sapé la base de la République, répudié dans sa totalité la devise républicaine ; elle n’avait plus à détruire que la République elle-même. Montalembert l’avait qualifiée de « frêle radeau ». Plus récemment un ministre avait traité la Révolution du 24 février de « catastrophe ». Que restait-il du régime institué ce jour-là ? Un peu plus qu’un mot ; une forme vide. La logique voulait qu’on s’attaquât maintenant à cette forme.

« La République, avait dit Thiers, est le terrain qui nous divise le moins ». Et c’était vrai, en ce sens que les trois fractions du parti de l’ordre pouvaient, dans ce régime, diriger ensemble les affaires, je ne dis pas de la France, mais de la classe capitaliste. Seulement du jour où les trois groupes voulaient toucher à ce provisoire terrain d’entente, le conflit était inévitable entre des forces qui, d’alliées qu’elles étaient, devenaient aussitôt antagonistes.

Il y avait eu des pourparlers pour achever de tuer la République à frais et à bénéfices communs. Mais, l’incertitude de ce que serait le lendemain, ou, plutôt, la certitude d’avoir à s’y disputer le pouvoir, avait arrêté les velléités des trois héritiers présomptifs de la moribonde. Ce fut alors à qui devancerait ou duperait l’autre. La question était double : Qui aurait le courage et le profit de l’opération ? Procéderait-on par une sentence légale de mort ou par un assassinat ? Autrement dit : Qui l’emporterait des légitimistes, des orléanistes, des bonapartistes ? Y aurait-il révision de la Constitution dans le sens monarchique ou bien Coup d’État ?

Les intrigues mesquines et compliquées qui se nouent autour de ce problème remplissent les années 1850 et 1851. Elles ne méritent pas qu’on y insiste longuement ; elles intéressent plus l’histoire anecdotique que l’histoire sociale. Nous n’en dirons que ce qui est nécessaire à la clarté des faits.

Légitimistes et orléanistes sont sur le point de s’unir. Les uns représentent surtout la grande propriété terrienne ; les autres, la grande propriété commerciale et industrielle. Les premiers sont de noblesse antique ; les seconds, de noblesse récente ou de haute bourgeoisie. Divisés par le souvenir de vieilles inimitiés et d’une longue lutte où n’ont manqué ni les sanglants épisodes ni les trahisons, ils se sont rapprochés pour la défense du capitalisme, et comme leurs intérêts, quoique différents, ne sont pas contradic-