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l’avenir, le germe de l’obligation et de la gratuité) furent repoussés.

Tous les voiles tombaient, arrachés l’un après l’autre. On était bien loin de cette pleine liberté réclamée par l’Église pour elle et pour les autres, au temps de Louis-Philippe. Un socialiste, Jules Leroux, se chargea de le démontrer ; il déposa un amendement ainsi conçu :


« Tout citoyen jouissant de ses droits civils et politiques aura le droit, en en faisant préalablement la déclaration à l’administration municipale de la commune où il réside, d’ouvrir un cours public sur les matières de l’enseignement primaire, secondaire, professionnel ou supérieur, c’est-à-dire sur toutes les matières qui ont pour objet l’instruction ou l’éducation de l’homme et du citoyen.

« Le jury connaît seul des délits commis par la voie de l’enseignement donné dans ces cours où ne seront admis que des élèves âgés de plus de quinze ans. »


C’était demander, et encore pour les cours d’adultes seulement, ce que jadis Montalembert réclamait pour toutes les écoles. Thiers prétendit qu’on voulait créer ainsi un privilège au bénéfice du socialisme et l’amendement ne recueillit que 135 voix. Quinet n’avait pas été plus heureux en proposant que l’instruction morale et religieuse fût donnée « sans acception des dogmes particuliers aux diverses communions ». Il alléguait que l’école non-confessionnelle était l’instrument nécessaire de l’unité nationale, de la concorde civile et en même temps de la liberté de conscience établie par la première Révolution. Mais la majorité ne se souciait guère de favoriser la liberté de conscience. L’amendement fut rejeté sans scrutin.

Le combat le plus vif s’engagea sur celui qui refusait le droit d’enseigner aux membres de toute compagnie religieuse non reconnue par l’État (Amendement Bourzat). C’étaient les Jésuites qui étaient visés. Thiers, leur fougueux adversaire d’antan, avait dit en badinant qu’il se cacherait derrière son banc, quand viendrait la question de leur rappel. Il monta au contraire sur la brèche et entama bravement l’apologie de la liberté pour tous. « Je vais passer aux Jésuites », dit-il à un moment de son discours ; — « C’est déjà fait, » cria une voix de la gauche. On rit ; mais Thiers, sans se démonter, continua son plaidoyer qui fut décisif. L’évêque Dupanloup découvrit que le ciel n’avait permis la République qu’en vue de ramener les Jésuites en France et il put écrire avec l’intrépide assurance des dévots qui font mouvoir leur Dieu à leur fantaisie : « Quiconque ne voit pas là visiblement la Providence ne verra jamais rien. »

En somme, le projet de la Commission fut adopté, sauf de très légères atténuations exigeant des futurs inspecteurs et recteurs le grade de licencié, fût-ce en droit ou en théologie, sauf aussi la vague promesse obtenue par Lasteyrie et Wolowski de créer un enseignement professionnel.

L’ensemble de la loi fut voté le 15 mars 1850 par 399 voix contre 227. Une quarantaine de catholiques étaient au nombre des opposants. L’évêque de Langres s’était abstenu, ainsi que plusieurs des ministres. L’ordre des Jésuites remercia M. Thiers, qui devint le premier vice-président du Conseil