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pour tout citoyen tournerait au profit de l’Église. Abordant de front la difficulté, Montalembert l’avouait. Mais n’était-ce point le salut de la société ? Parlant « un langage non théologique ou mystique, mais politique ou social », il déclarait que le catholicisme était la seule force capable de s’opposer efficacement au socialisme. L’Université laïque ne pouvait remédier au mal, parce que, trop souvent empoisonneuse d’âmes et tueuse de croyances, elle était impuissante à créer un Évangile politique. Seul, le vieux dogme en avait la vertu, d’un côté parce qu’il prêtait à toute autorité, quelle qu’elle fût, la consécration du droit divin, d’autre part parce qu’il faisait du travail un châtiment, une expiation, une peine et mettait le bonheur, non sur la terre, mais dans le ciel ; parce qu’en conséquence il disait aux pauvres : — Résignez-vous à la pauvreté laborieuse et vous en serez récompensés et dédommagés éternellement — et invitait les riches à se faire pardonner leur richesse par leur charité. Montalembert posait le problème avec une brutale franchise et se plaçait sur un terrain où il tâchait d’entraîner derrière lui la bourgeoisie affolée. Un jeune professeur de philosophie, Jules Simon qui se fit l’avocat de l’enseignement officiel, n’osa point relever le défi au nom du socialisme et de l’esprit laïque. Plein de ménagements pour son adversaire, il se contenta de répondre que le communisme intellectuel, consistant à donner à chacun sa part de savoir universel, valait mieux que l’esclavage de l’ignorance, et de revendiquer pour la République le droit de ne pas abdiquer entre les mains du christianisme la direction de la jeunesse ; il défendit l’Université du reproche d’être une faiseuse de criminels et de socialistes et conclut en admettant la liberté de l’enseignement, mais limitée et réglée par l’État. J’ai déjà dit (page 100) comment les catholiques durent ce jour-là faire retraite sous la conduite de Falloux. Mais c’est de là qu’il faut dater entre le catholicisme et le socialisme l’absolue opposition qui allait s’accuser les années suivantes.

La seconde opinion qui déniait seulement à l’État le contrôle des écoles libres fut surtout soutenue par Laboulie, qui demanda que les grands et les petits séminaires fussent sous la surveillance exclusive des évêques, et les autres établissements privés sous celle des autorités électives de la région. Il appuya son amendement d’attaques contre les maîtres d’école et professeurs qu’il déclara incapables de faire de bons citoyens, parce qu’ils faisaient de l’enseignement une profession et n’avaient pas ainsi l’abnégation nécessaire à cette espèce de sacerdoce, parce qu’ils avaient aussi varié d’opinions suivant les divers régimes qui avaient dominé tour à tour. De Tracy voulut obtenir au moins que la surveillance officielle ne pût être exercée que dans l’intérêt de la morale et du respect des lois et cela, sans être inscrit dans la Constitution, fut à peu près convenu.

Le monopole n’eut point de défenseur. L’opinion qui s’en rapprocha le plus eut pour champion Rarthêlemy-Saint-Hilaire, républicain modéré et