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peu à peu des machines à examen pour le baccalauréat. Leurs programmes avaient un caractère étroitement professionnel. Ils étaient calculés, en vue de former des avocats, des médecins, des diplomates, des hommes politiques, des économistes, porte-parole et futurs meneurs de la classe dirigeante. Les Facultés de lettres et de sciences, qui ne conduisaient à rien de pratique, dégénéraient en Facultés d’agrément, en salons littéraires ou en parlottes semi-scientifiques, où s’épanouissaient les fleurs de rhétorique, les leçons pour dames et gens du monde. A Paris même, les professeurs qui avaient attiré la foule, — Guizot, Villemain. Cousin — avaient transporté leur éloquence de la Sorbonne aux Chambres et se faisaient remplacer dans leurs chaires par de pâles suppléants. C’est en dehors de la hiérarchie universitaire, au Collège de France, que se pressaient les étudiants, parce que là retentissait la parole ardente, passionnée d’un Quinet, d’un Michelet. Mais le pouvoir redoutait plus qu’il ne soutenait des penseurs qu’il savait indépendants et pénétrés jusqu’aux moelles de l’esprit laïque et républicain.

Les choses en étaient là, quand éclata la Révolution de 1848. Le Gouvernement provisoire sentit combien le problème de l’éducation publique prenait d’importance avec l’avènement de la République[1] et il appela pour le résoudre un homme que son nom prédestinait aux plus hautes fonctions sous le nouveau régime. C’était Hippolyte Carnot, fils de celui qu’on avait appelé l’organisateur de la victoire. Avec lui c’était le Saint-Simonisme qui montait au pouvoir : car, disciple de Saint-Simon, il choisissait, pour collaborateurs Jean Reynaud et Édouard Charton, qui étaient des hommes de la même école, résolus adonner pour pivot à la politique le mieux-être matériel et moral du plus grand nombre. On avait le droit d’espérer de leur part une impulsion vigoureuse.

Logiquement le suffrage universel aurait dû être précédé de l’instruction universelle. Allait-on, du moins, réparer au plus vite un retard périlleux ? Hélas ! Carnot en sentait la nécessité, mais non l’urgence. Il s’en remettait, lui aussi, à la prochaine assemblée. Il créait, dès le 29 Février, une Haute Commission des études scientifiques et littéraires (une Commission, quand il aurait fallu des actes décisifs) et il lui laissait le soin d’élaborer un projet de loi pour tous les degrés d’enseignement. Nous retrouverons, un peu plus loin, ce projet. En attendant mieux, on rêvait la célébration annuelle d’une grande fête de l’enfance ; les salles d’asile perdaient leur nom, pour en prendre un autre qui fit moins songer à une institution charitable ; elles s’appelaient écoles maternelles et une École normale spéciale, dont la direction fut confiée à Mme Marie Carpentier, fut chargée de former leur personnel. Des bibliothèques communales dans les campagnes et des lectures du soir pour les ouvriers des villes étaient instituées el encouragées. Sages mesures, sans

  1. C’est alors que les cultes furent réunis au ministère de l’instruction publique, réunion significative et grosse de périls.