Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/175

Cette page a été validée par deux contributeurs.

ouvriers. Mais elle est partout inférieure pour les campagnards. Dans l’Allier, il y a telle commune rurale où l’on ne peut choisir le maire qu’entre deux ou trois habitants, parce qu’il n’y en a pas davantage qui soient capables de rédiger correctement les actes officiels. Si nous comparons maintenant les régions, le Nord a l’avantage sur le Midi et l’Est sur l’Ouest ; les pays de montagne sur les pays de plaine, peut-être parce que les loisirs d’hiver y sont plus complets et plus longs. En général les contrées où se parle encore un dialecte, où survit une langue ancienne, sont en retard sur les autres ; c’est le cas pour le Languedoc, pour la Bretagne. Le juge de paix de Carcassonne écrit : « Peu d’ouvriers lisent le français. »

La France d’alors apparaît donc piquée de points lumineux qui sont les villes et semée de vastes taches sombres qui sont les campagnes ; elle révèle une inégalité fâcheuse entre les deux sexes ; elle présente une espérance, les enfants.

Pénétrons plus avant. Quelle était la condition des maîtres et maîtresses d’école ? Dans les établissements de l’État, ils doivent avoir dix-huit ans au moins, un certificat de moralité, un brevet élémentaire ou supérieur. Ils sont préparés dans les écoles normales ; il y en a 76 pour les garçons, 11 seulement pour les filles sur toute la surface de la France. Mais, par tolérance, dans les écoles congréganistes de garçons, on ne demande un brevet qu’à un des maîtres. Les autres, considérés comme ses adjoints, sont dispensés de titre universitaire. Dans les écoles de filles on exige moins encore ; les Sœurs qui les dirigent n’ont besoin que d’une chose, la lettre d’obédience qui leur est délivrée par leurs supérieures et leur tient lieu de savoir dûment constaté.

L’instituteur public est placé sous la surveillance de deux espèces d’autorités. D’une part, il est contrôlé par un comité local, qui siège dans la commune et dont le curé est membre de droit, et par un comité d’arrondissement que nomme le préfet. D’autre part, il est surveillé par l’inspecteur primaire qui relève du recteur. Le mode de nomination auquel il est soumis est compliqué. Il est présenté par le Conseil municipal, après avis du Comité local. Il est nommé par le Comité d’arrondissement et institué par le ministre. Une fois installé dans sa place, il n’en bouge plus. Il est à perpétuité fixé dans le village où le sort l’a jeté. Son avenir est barré à jamais et son présent est loin d’être brillant. Il est logé le plus souvent de façon très mesquine ; la salle où il fait la classe est d’ordinaire celle où se fait la cuisine. Le mobilier scolaire et le sien sont plus que sommaires. Il a en revanche un petit jardin. Le minimum d’appointement auquel il a droit est de 200 francs par an ; 16 fr. 66 par mois ; on ne peut pas dire que ce soit luxueux. Il a de plus, comme le curé, un « casuel », une rétribution qui lui vient des élèves. Mais c’est une rétribution vague qui, dans les campagnes, se paie le plus fréquemment en nature. En hiver, pour chauffer le poêle, chaque garçon ou fille arrive avec un morceau de bois et c’est une des ressources les plus notables