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besoins d’argent du prince créaient un lien solide entre lui et la haute Banque.

Ce ministère était aussitôt baptisé le petit ministère. Manquant d’autorité par lui-même, il devait être à la fois plus docile aux désirs du Président comme à ceux de la majorité, ce qui n’était pas contradictoire ; car l’accord un instant compromis s’était rétabli en vue d’opérer ce qu’on allait nommer « une expédition de Rome à l’intérieur ». La tactique du prince était de laisser faire, de laisser briser tout ressort, tout moyen de résistance, de laisser creuser un abîme entre le peuple et l’Assemblée. Le ministère servait à merveille ses desseins. Pour lui complaire, il instituait des prêts d’honneur destinés aux ouvriers qui pouvaient les obtenir sans autre garantie que leur parole les rembourser ; il augmentait de vingt centimes la paie des sous-officiers ; il divisait la France en quatre grands commandements militaires, en quatre pachaliks, comme disait l’opposition à qui le ministre de la guerre détachait ce défi de descendre dans la rue : « vous pouvez commencer, si cela vous convient. Nous sommes prêts à toute heure ». Les modes de l’Empire avaient reparu dès l’hiver précédent. On revit les dames coiffées du turban, ce qui faisait dire à un général qu’il avait dîné avec plusieurs mameluks. Pour complaire à la majorité, toujours malade de la peur rouge, il chassait les derniers républicains de l’administration, il augmentait le cautionnement des journaux, prorogeait pour un an la suspension du droit de réunion, travaillait à mater les paysans en proposant d’attribuer au pouvoir exécutif le droit de destituer les maires, les adjoints et les instituteurs, chargeait la gendarmerie d’espionner les fonctionnaires et les citoyens, donnait à la bourgeoisie la satisfaction de voir rétablir l’impôt sur les boissons et retirer le projet d’impôt sur le revenu, accordait aux actionnaires de chemin de fer d’énormes avantages ; il provoquait enfin la classe populaire de mille façons, en abattant ce qui restait encore d’arbres de liberté, en imprimant au Moniteur qu’ils étaient bons à faire des fagots pour les pauvres, en faisant enlever les couronnes qui garnissaient la colonne de Juillet, en refusant de célébrer l’anniversaire du 24 Février, qualifié par Thiers de « funeste journée », autrement que par un service funèbre en l’honneur de ceux qui étaient tombés des deux côtés.

C’est comme un vent de folie réactionnaire qui souffle alors sur la France. Mais, dans l’œuvre qui s’accomplit, une des premières places revient à la loi sur l’enseignement que l’histoire connaît sous le nom de Loi Falloux.