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était vague, et une amnistie, mais une amnistie féroce, d’où étaient exclues d’innombrables catégories de personnes. Palmerston, le ministre anglais, résumait ainsi la pensée du pape : « Je nomme un Conseil d’État dont je suivrai les avis, s’ils me plaisent ; je promets des réformes et je pardonne aux innocents. » Tocqueville qualifia lui-même ces concessions de « dérisoires ». Et pourtant, quand l’Assemblée eut à se prononcer à leur sujet, le ministre fit semblant de les prendre au sérieux. Le débat fut plus éclatant que net. L’équivoque devait rester jusqu’au bout la tare de cette expédition de Rome. Thiers. alors inféodé au parti catholique, affecta d’être parfaitement satisfait du motu proprio et de s’en remettre à la bonne volonté de Pie IX : De la lettre à Edgar Ney, comme si elle était nulle et non avenue, étant inconstitutionnelle, il ne dit pas un mot et ce dédain fut cruellement ressenti par son auteur. — Ce fut le moment critique de la deuxième République ; celui où elle pouvait encore être sauvée, où l’on eut à se demander durant quelques semaines si elle tournerait à droite ou à gauche. Pour la première fois une fêlure grave lézardait l’union qui avait étroitement associé jusqu’alors le Président et le parti de l’ordre.

Les républicains essayèrent d’en profiter pour tirer à eux le Président, qui rêva un instant une alliance avec la Prusse, avec les puissances libérales et l’abandon de la papauté. C’est à cette occasion que Victor Hugo, oscillant depuis quelque temps de droite à gauche, mais écœuré par la dureté bourgeoise et le cléricalisme combatif des conservateurs, rompit avec son passé catholique et avec une majorité qui, décidément, témoignait d’un parfait mépris pour la liberté des peuples. Montalembert, par la réplique insultante qu’il asséna sur la tête de son ancien ami, rendit la rupture irréparable. Le fougueux orateur catholique défendit le droit du pape à rester un souverain absolu, dans un brillant discours où son enthousiasme définit l’Église en ces termes renouvelés du moyen-âge : « C’est une mère ; c’est la mère de l’Europe ; c’est la mère de la société moderne ; c’est la mère de l’humanité moderne ». Les crédits demandés par le ministère furent votés et le pape rentra quelques mois plus tard, au milieu d’un silence glacial, dans la ville de Rome où il allait régner protégé et, en partie, entretenu par la France, car Montalembert, faisant appel pour les besoins pressants de Pie IX à la générosité des fidèles français, lançait la première idée du denier de Saint-Pierre.

Le même Montalembert, allant en pèlerinage au Vatican quelques mois plus tard, se déclare électrisé par la vue du drapeau tricolore flottant devant le palais. Joie difficile à partager, si l’on songe que cette occupation de Rome par les troupes françaises devait, au jour du péril, priver la France des sympathies italiennes et créer entre les deux nations un long et pénible dissentiment ! Mais la France ne devait pas être seule à pâtir de ce protectorat. Victor Hugo avait pu écrire avec raison : « Quoi qu’il advienne pour le présent, nous sommes obligés de regarder le motu proprio comme l’involontaire abdication