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qu’on les supprimât ; que si jamais lui-même montait à la tribune pour faire appel à la violence, il pardonnait à qui l’emprisonnerait. C’était une promesse d’inertie devant un Coup d’État heureux. On comprend qu’il ait été félicité de cette profession d’obéissance au pouvoir par Metternich, le vieux coryphée du conservatisme européen. Il la motivait par le refrain ordinaire : « Nous sommes dans une place assiégée par le socialisme. » Mais cette façon de mettre au compte du socialisme tous les péchés d’Israël devenait banale au point que Jules Favre, l’ancien accusateur de Louis Blanc, se risquait à dire : « Si la société est menacée par le socialisme, savez-vous le moyen de faire cesser le siège ? C’est de donner entrée au socialisme dans la place. » Il voulait qu’on employât à son égard la persuasion, non la compression, et le fait que cette théorie se trouvait dans la bouche d’un modéré montrait mieux que toute chose comment, par l’effacement des centres, le fort de la lutte tendait à se confiner entre les extrêmes, les rouges et les blancs, la démocratie socialiste et la royauté catholique.

Mais, comme il est naturel, c’est à l’extérieur que la journée du 13 juin, déterminée par une question de politique extérieure, produisait ses effets les plus importants. Tandis qu’en France un calme relatif s’établissait, marqué par la hausse des fonds, l’ouverture d’une Exposition, la reprise des affaires et aussi par des élections complémentaires qui venaient grossir la majorité ministérielle, l’expédition de Rome suivait son cours. Le siège s’opérait dans les règles, et après un bombardement, qui fut assez inoffensif même pour les monuments, les Français pénétraient par la brèche et faisaient leur entrée dans Rome, hués par la population. La République romaine était abattue. Mais les instructions du vainqueur étaient d’empêcher des représailles sanglantes contre les vaincus et d’assurer aux États de l’Église des institutions libérales sérieuses.

Oudinot laissait donc aux républicains les plus compromis le loisir de s’expatrier ; seulement il avait l’imprudence de proclamer, sans garantie aucune, dès le 14 juillet, la restauration du pape. Le Saint-Père déléguait aussitôt ses pouvoirs à trois cardinaux, un triumvirat en robes rouges. Pie IX allait-il se montrer libéral, comme Tocqueville, ministre des Affaires étrangères, le suppliait de le faire ? Il y paraissait peu disposé. Il regimbait contrôle patronage de la France qui le poussait à organiser un régime parlementaire et à demi-laïque. Dans une lettre qu’il adressait à ses très aimés sujets, il remerciait de leur aide « les armées catholiques », sans même nommer l’armée française qui s’était battue pour lui ; il ajournait à une date indéterminée sa rentrée dans Rome ; il ne parlait ni d’amnistie ni de constitution. La Très Sainte Inquisition était rétablie et des vengeances politiques exercées par les cardinaux, si bien que Tocqueville se déclarait honteux d’abriter sous les plis du drapeau français cette politique rétrograde. La France mécontente rappelait Oudinot et son envoyé spécial, de Corcelles.