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elle disparaissait déconsidérée, bafouée, attristée, pleine de sombres pressentiments, que son président Marrast traduisit ainsi dans l’adieu inquiet qu’il lui adressa : « Que la sagesse de nos successeurs vienne réparer ce qu’il a pu y avoir de fautes, d’erreurs et de dures nécessités dans notre laborieuse carrière ! Puissent-ils se garder eux-mêmes des passions violentes ou de funestes entraînements ! »

CHAPITRE XII


L’ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE. LE 13 JUIN 1849. — L’OCCUPATION DE ROME ET SES CONSÉQUENCES.


L’Assemblée législative, qui choisit pour président l’orléaniste Charles Dupin, apparaît composée tout autrement que la Constituante. Sur 700 députés, 450 monarchistes environ, majorité compacte quand il s’agit de voter contre la République et la démocratie, mais divisée dès qu’il s’agit de mettre quelque chose à la place de ce qu’elle veut renverser ; car elle comprend des légitimistes, des orléanistes, des bonapartistes, les premiers plus nombreux, les derniers plus hardis et comptant parmi eux Persigny, élu deux fois, et Lucien Murat, qui a eu le plus de voix à Paris. Les républicains modérés ne sont guère plus de 75 ; leurs chefs, à commencer par Lamartine, Marie, Marrast, Garnier-Pagès, Senard, sont restés sur le carreau. En revanche, les démocrates-socialistes sont environ 180 ; plusieurs ont été nommés par deux départements, Félix Pyat par trois ; Ledru-Rollin l’a été par quatre et est arrivé second à Paris. La liste rouge a triomphé en Alsace, à Lyon, dans le centre et dans le Sud-Est.

Par suite, une minorité et une majorité de deux contre un, toutes deux également ardentes, mais représentant deux principes opposés, se trouvent en présence à peu près sans intermédiaire. De là une marche très simple des événements : mesures réactionnaires en vue de couper à la minorité toute chance de se maintenir ou de s’accroître ; puis, à chaque effort de celle-ci pour garder les positions conquises ou regagner le terrain perdu, nouvelles mesures plus restrictives, jusqu’à ce que le suffrage universel soit enlevé à la France par la loi du 31 mai 1850. C’est le point extrême atteint par la réaction anti-démocratique. C’est la dernière œuvre commune aux trois groupes monarchistes de cette Assemblée, qu’on peut appeler la Chambre introuvable du régime bourgeois. À partir de ce moment, lutte entre eux pour savoir qui prendra le pouvoir suprême et victoire de celui qui s’y trouve déjà installé à demi. Le parti bonapartiste, par un coup d’État militaire qui rétablit le suffrage universel et qui chasse l’Assemblée, tue la République, supprime le peu de liberté qui subsiste encore, mais ébauche un commencement de retour vers l’égalité politique et sociale.