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émanaient du peuple ; puis, pour corriger ce que pouvait avoir de trop absolu cette affirmation répétée de l’unité, on ajoutait aussitôt cet axiome de la science politique : « La séparation des pouvoirs est la première condition d’un gouvernement libre. » Un blasphémateur s’éleva cependant contre ce dogme, susceptible d’interprétations diverses, c’était Proudhon qui proposa cet amendement : « L’indivision du pouvoir et la division des fonctions sont la première condition d’un gouvernement libre. » Il ne manquait pas de démocrates pour vouloir mettre, au nom de l’unité du pouvoir, l’action populaire partout où elle était possible. Mais Proudhon retira son amendement sans solliciter le vote et la traditionnelle division des trois pouvoirs législatif, exécutif, judiciaire devint le cadre de la discussion. Par suite elle doit être aussi celui de notre étude.

Pouvoir législatif. — On commença par le pouvoir législatif. Le suffrage direct et universel fut admis sans contestation. Ses adversaires se taisaient, ajournaient leurs mauvais desseins à de meilleurs jours. Dans le Comité cependant on avait parlé d’enlever le droit de vote aux soldats et aux domestiques. A la Chambre un amendement voulut l’ôter à ceux qui ne sauraient pas écrire eux-mêmes leur bulletin. On s’en débarrassa en le renvoyant a la loi électorale. Il pouvait se défendre ; mais le fait seul qu’on tentât de faire brèche au système pouvait passer pour un symptôme inquiétant et ce n’était pas le seul. Un député de Tarn-et-Garonne, Détours, avait demandé que le suffrage universel fût déclaré un droit imprescriptible, préexistant, qu’aucune Assemblée ne pourrait suspendre, altérer, amoindrir. Il le sentait en danger ; il le montrait haï par des hommes qui étaient « les princes de la tribune » et qui ne lui pardonnaient que conditionnellement, pour avoir « bien voté » ; il lançait à son égard cette prophétie qui devait se réaliser à la lettre : » Ou il ose envoyer ici trop de forces à la démocratie. j’ose assurer qu’il sera modifié. » Mais Détours se heurtait à une résistance acharnée et ne put obtenir la garantie qu’il réclamait.

L’Assemblée, du reste, maintenait le scrutin de liste par département, le vote au chef-lieu de canton, sauf exception approuvée par le Conseil général, quoiqu’on lui fit remarquer qu’il était fort gênant pour les électeurs, parmi lesquels la proportion des votants était descendue de 80 à 60 et à 30 0/0. A une mesure maladroite qui faisait du vote un devoir pénible pour les campagnards pauvres, elle en ajoutait une autre qui était périlleuse en autorisant les candidatures multiples susceptibles de conférer à des individus une importance exagérée. Elle décidait que l’Assemblée serait composée de 750 membres, nommée pour trois ans, renouvelable intégralement. On peut relever dans les décisions prises le désir d’assurer l’indépendance des élus, même à l’égard de leurs électeurs : article spécifiant qu’ils représentent, non leur département, mais la France entière ; interdiction du mandat impératif ; indemnité de 25 francs par jour à laquelle ils ne peuvent renoncer, allocation