Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/110

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

demandait que le discours ne fut pas inséré au Moniteur, et que les journaux qui oseraient le reproduire fussent poursuivis ; un autre proposait ce châtiment méprisant, la question préalable ; et cela sans compter ceux que le président n’osa pas lire. Enfin l’on s’accorda pour ce vote de flétrissure :


« L’Assemblée nationale — considérant que la proposition du citoyen Proudhon est une attaque odieuse aux principes de la morale publique ; qu’elle viole la propriété ; qu’elle encourage la délation ; qu’elle fait appel aux plus mauvaises passions — considérant en outre que l’orateur a calomnié la Révolution de février 1848 en la rendant complice des théories qu’il a développées — passe à l’ordre du jour. »


Cette excommunication majeure fut votée par 691 voix contre 2. Proudhon fut condamné par tous ses collègues, excepté par l’ouvrier lyonnais Greppo. Non seulement les montagnards présents, mais les socialistes Louis Blanc et Considérant se prononcèrent contre lui. En fut-il fâché ? Il est permis d’en douter, si l’on en juge par la façon dont il décrit le déchaînement dont il fut l’objet :


« Je devins… l’homme-terreur… J’ai été prêché, joué, chansonné, placardé, biographié, caricaturé, blâmé, outragé, maudit ; j’ai été signalé au mépris et à la haine, livré à la justice par mes collègues, acculé, jugé, condamné par ceux qui m’avaient donné mandat, suspect à mes amis politiques, espionné par mes collaborateurs, dénoncé par mes adhérents, renié par mes coreligionnaires. Les dévots m’ont menacé, dans des lettres anonymes, de la colère de Dieu ; les femmes pieuses m’ont envoyé des médailles bénites ; les prostituées et les forçats m ont adressé des félicitations dont l’ironie obscène témoignait des égarements de l’opinion. Des pétitions sont parvenues à l’Assemblée Nationale pour demander mon expulsion comme indigne. »


Ou je me trompe fort ou une joie secrète se trahit dans cette fanfare. Quel fut toutefois le résultat immédiat de cette séance fameuse où Proudhon avait voulu parler par les fenêtres du Palais-Bourbon ? Le socialisme y était apparu agressif, menaçant, sonnant l’hallali de la classe bourgeoise. Ce fut le socialisme conciliant, pacifique, croyant encore à la collaboration des classes dans une réforme de la société, qui paya pour les bravades et les intempérances de ce frère jumeau.

Tandis que Proudhon demeurait dans la situation contradictoire où il s’était toujours complu « abattant les choses et les hommes comme des quilles, sans crier gare », terreur des bourgeois et fléau des socialistes, fournissant des armes aux premiers et suscitant aux autres des ennemis par l’outrance de ses paroles, l’Assemblée se préparait à sabrer tous ceux en qui fermentait, peu ou prou, le levain révolutionnaire.

La majorité, qui se dit encore et qui se croit peut-être républicaine, a eu la sottise de nommer, le 26 Juin, dans l’affolement du combat, une Commission chargée de rechercher, par voie d’enquête et par tous autres moyens, les causes des journées de juin et de l’attentat du 15 Mai. Elle lui a conféré pleins pouvoirs pour faire comparaître devant elle les personnes ou pour se faire délivrer toutes les pièces qui pourront la renseigner. La Commission, composée de quinze membres qui ont été nommés dans le huis-clos des bureaux, a pris pour président Odilon Barrot, le dernier ministre choisi par