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les deux Chambres. A la fin, on ajoute des pénalités spéciales contre l’attaque à la souveraineté du peuple et au suffrage universel, (Cavaignac, qui est intervenu en personne pour les faire voter, est convaincu qu’on doit et qu’on peut empêcher de discuter le principe de la République. On maintient un vieil article qui permet aux gouvernants d’interdire le compte-rendu des débats parlementaires ou judiciaires. Ainsi se fait sentir l’éternelle défiance du sabre envers la pensée. Mais l’article essentiel est celui qui prétend mettre à l’abri de la discussion « les bases de la société ». C’est Jules Favre qui dresse ce rempart. Républicains modérés et monarchistes s’accordent à interdire sous les peines les plus rigoureuses, « toute attaque à la liberté des cultes, au principe de la propriété et aux droits de la famille ». Religion, propriété, famille, voilà bien la Sainte-Trinité du moment ! Proud’hon s’écrie avec raison : « Défendez toute discussion du code civil, du code de commerce, de l’économie politique…. des systèmes socialistes… C’est plus sûr… plus loyal ». On lui répond que la discussion philosophique sera permise. Mais à quel signe distinguera-t-on l’attaque de la discussion ? On ne peut le lui dire. Pierre Leroux demande si le vieux droit français qui ne reconnaît pas le droit absolu du capital, qui condamne, par exemple, le prêt à intérêt, sera compris dans la proscription. Un autre, représentant, Pierre Lefranc, est effrayé par l’énormité de la formule proposée. Quoi ! le dogme de la propriété déclaré intangible, sous peine d’excommunication ! Mais que dire alors de la loi d’expropriation pour cause d’utilité publique ? On n’écoute rien. On veut opposer une digue à la marée des idées socialistes ! On se résigne à étouffer pour cela une liberté de plus, la liberté de penser en matière religieuse et sociale. La République, par la main des républicains modérés, travaillait énergiquement à faire le lit du despotisme.

Il faut citer encore tout un abatis de projets démocratiques.

Wolowski, dès le 30 Juin, a demandé dans le Comité des Travailleurs, qu’on abrogeât le décret limitant la journée de travail. Reprise par l’État des chemins de fer et des assurances, impôt progressif sur le revenu, réforme des prêts hypothécaires, tout est abandonné, retiré par les ministres, serviteurs dociles de la majorité. L’un d’eux croit encore à la nécessité de rendre plus sérieux et plus facile l’enseignement du peuple. C’est Carnot. Mais la rue de Poitiers a résolu sa perte. Aussi est-il vigoureusement attaqué. Et quel prétexte ? Toujours le danger des doctrines subversives du socialisme. Le 5 juillet, Bonjean dénonce un Manuel républicain de l’homme et du citoyen, qui se publie sous les auspices du ministère de l’Instruction publique et qui a pour auteur le philosophe Charles Renouvier, Le livre procède par questions et réponses entre un instituteur et un écolier. Il contient ce bout de dialogue : « Existe-t-il des moyens d’empêcher les riches d’être oisifs et les pauvres d’être mangés par les riches ? » Or, il est répondu qu’on peut, pour y arriver, limiter le droit d’héritage et rendre l’intérêt aussi faible que possible. Il est dit, de plus, que les grands propriétaires qui ne font rien