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laisser à ceux qui en avaient contrarié la valeur politique toute la responsabilité de son fonctionnement.

De son côté, le tribunal révolutionnaire, comme s’il eût voulu échapper lui aussi à des responsabilités effroyables en se donnant je ne sais quelle apparence d’automatisme, interpréta la loi de prairial comme une loi de meurtre mécanique. Il s’agissait de tuer le plus possible. Les accusés couvraient chaque jour toute une série de gradins : ils étaient expédiés d’un mot ; et les têtes tombaient par centaines. Ce fut la grande Terreur qui fit plus de victimes en quelques semaines du 22 prairial au 9 thermidor, que n’en avait fait le régime révolutionnaire de mars 1793 au 22 prairial an II. Autour de la guillotine il y avait une intrigue effroyable. Robespierre n’intervenait pas, il ne modérait pas le jeu de la terrible machine pour bien marquer que ce n’était plus sa machine à lui, que ce n’était plus sa loi à lui. Et d’autre part, Fouquier-Tinville, l’accusateur public, et les jurés, affectant de ne pas voir que la loi avait perdu une grande partie de ce qui en avait été pour Robespierre la raison d’être, la faisaient fonctionner à plein. Si elle rendait Robespierre odieux sans le rendre plus fort, plusieurs s’en consolaient. Et Robespierre ne pouvait pas dire : Vous savez bien que la loi a perdu son objet, puisqu’elle ne peut plus faire justice des scélérats réfugiés à la Convention. Non, il ne pouvait pas dire cela : il ne pouvait pas désavouer la machine estropiée qui tuait en son nom. Ses ennemis ne laissaient point passer une occasion de le compromettre et de le perdre. Ils firent grand bruit autour de la pétition d’un zélateur de l’Être Suprême qui demandait qu’on ne pût, par des jurements, profaner le nom de Dieu.

La vieille inquisition n’allait-elle donc pas renaître ? Oui, inquisition et dictature, et Robespierre, selon le mot de Saint-Just, allait être accusé de « faire marcher devant Dieu les faisceaux de Sylla ».

Une illuminée, une folle, Catherine Théot, liée au bénédictin dom Gerle, annonçait une ère mystique où Robespierre serait le sauveur des hommes. Le Comité de Sûreté générale instruit cette affaire ridicule, la grossit, et Robespierre a de la peine à sauver la prophétesse de l’échafaud.

L’incorruptible préparerait-il donc sa tyrannie en corrompant l’esprit des simples par le fanatisme religieux ? Barère, en une sorte d’empressement ambigu, louait cyniquement la loi de prairial, peut-être pour faire sa cour à Robespierre, peut-être pour aggraver la terreur universelle par des commentaires d’épouvante :

« Il n’y a, disait-il avec une sorte de jovialité calculée et atroce, il n’y a que les morts qui ne reviennent pas. »

Billaud-Varennes et Collot d’Herbois ou boudaient ou même, dans des séances orageuses du Comité de Salut public, attaquaient Robespierre : Barère se réservait, Saint-Just était aux armées ; Carnot, Prieur s’enfermaient dans leur spécialité militaire. Lindet ne s’occupait guère que des subsistances, et