Robespierre, par son impuissance au lendemain de sa victoire sur l’hébertisme et le dantonisme, par les défiances que sa maladroite inspiration déiste avaient éveillées, s’était comme obligé à tuer encore. Et il fallait qu’il tuât, en même temps, par une même loi, dans une effroyable confusion, les contre-révolutionnaires, les suspects détenus dans les prisons, et les hommes comme Carrier, comme Fouché, comme Barras à qui il faisait peur et dont il avait peur.
Il dira en son suprême discours de thermidor un mot qui est la clef de ces sombres jours : « La chute des factions a mis en liberté tous les vices ». Il voulait dire par là que le pouvoir révolutionnaire, dont il était le plus haut représentant, était menacé, non plus par des systèmes politiques, mais par l’intrigue dispersée des égoïsmes, des convoitises et des craintes. Il fallait que la loi de mort pût s’insinuer jusque dans la diversité des cœurs. Et pour qu’elle pût s’adapter à toutes les formes, il fallait qu’elle fût elle-même sans forme, une sorte de spectre ambigu qui irait recruter ses victimes le même jour dans les prisons, à la Montagne de la Convention, au Comité de Salut public.
C’est la loi de prairial. Elle se résume à créer des délits terriblement vagues, à dispenser l’accusation de presque toute preuve et à retirer à l’accusé tout moyen de défense.
« Le tribunal révolutionnaire est institué pour punir les ennemis du peuple.
« Les ennemis du peuple sont ceux qui cherchent à anéantir la liberté publique, soit par la force, soit par la ruse.
« Les ennemis du peuple sont ceux qui auront provoqué le rétablissement de la royauté, ou cherché à avilir ou à dissoudre la Convention nationale et le gouvernement révolutionnaire et républicain, dont elle est le centre ;
« Ceux qui auront trahi la République dans le commandement des places et des armées, et dans toute autre fonction militaire…
« Ceux qui auront cherché à empêcher les approvisionnements de Paris, ou causé des disettes dans la République ;
« Ceux qui auront secondé les projets des ennemis de la France, soit en favorisant la retraite et l’impunité des conspirateurs et de l’aristocratie, soit en corrompant les mandataires du peuple, soit en abusant des principes de la Révolution, des lois ou des mesures du gouvernement, par des applications fausses et perfides ;
« Ceux qui auront trompé le peuple ou les représentants du peuple pour les induire à des démarches contraires aux intérêts de la liberté ;
« Ceux qui auront cherché à inspirer le découragement pour favoriser les entreprises des tyrans ligués contre la République ;
« Ceux qui auront répandu de fausses nouvelles, pour diviser et pour troubler le peuple ;