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mique, ni les prodigieuses réserves de pensée et de force morale qu’elle mettait au service d’un magnifique idéal.

Pourtant, quand les têtes hébertistes et dantonistes furent tombées, quand, quelques jours après, par une sorte d’arrière-liquidation sinistre, ceux qui furent accusés d’avoir fomenté le complot des prisons, Chaumette, Gobet, Arthur Dillon, la veuve d’Hébert et l’infortunée Lucile, déjà morte en Camille avant, de monter elle-même à l’échafaud, y furent montés à leur tour, quand cette arrière-charretée eut vidé ses têtes au panier, quand l’hébertisme et le dantonisme, comme factions, ne furent plus qu’un souvenir, c’est alors pour Robespierre et la Révolution l’épreuve décisive.

Robespierre a devant lui la place nette ; mais que va-t-il faire ?

La Révolution n’est plus menacée ni par l’organisation démagogique qui l’aurait noyée dans une anarchie abjecte et féroce, ni par la molle conspiration des indulgents qui par leur politique impatiente et boudeuse semblaient livrer la Révolution repentante à l’audace réveillée de ses ennemis. Mais que va faire la Révolution ?

Les forces contraire de démagogie et de modérantisme entre lesquelles s’équilibrait la politique de Robespierre sont tombées ; et c’est en lui-même maintenant, c’est dans sa propre pensée, dans sa propre politique qu’il faut qu’il trouve son équilibre.

La prodigieuse tension de tous les ressorts révolutionnaires, de toutes les forces de la vie et de la mort ne peut durer. La Terreur ne pouvait être un régime normal. La guerre ne pouvait être un régime indéfini. Les lois de réglementation et du maximum ne pouvaient convenir éternellement à une société fondée sur la propriété individuelle et la production privée. Enfin la quasi dictature du Comité de Salut public ne pouvait prendre un caractère définitif. Maintenant qu’il n’y avait plus de parti hébertiste pour tendre encore, jusqu’à les rompre, les ressorts du terrorisme, maintenant qu’il n’y avait plus de parti dantoniste pour opérer une si brusque détente de l’énergie révolutionnaire que la Révolution elle-même risquait de s’affaisser, une politique était possible, et celle-là seulement.

Il fallait que la Révolution, tout en restant terrible à ses ennemis, terrible aux conspirateurs et aux traîtres, terrible aux tyrans et à leurs armées, préparât le retour de la nation à la vie normale. Il fallait dire tout haut que la France révolutionnaire, héroïquement obstinée à défendre contre l’univers son indépendance et sa fierté, résolue à compléter par des victoires décisives les victoires où se marquait déjà son génie, était prête aussi à conclure la paix avec les gouvernements, quels qu’ils fussent, qui reconnaîtraient sans arrière-pensée la République et le droit de la nation française à la liberté. Il fallait annoncer que dès que la paix serait possible, les assignats seraient rapidement retirés de la circulation, et que le fonctionnement vigoureux des impôts dispenserait enfin la Révolution de dévorer la substance de l’a-