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d’une masse d’hommes ne peut s’appuyer que sur des observations ; et pour les choisir, pour en saisir les traits essentiels il faut déjà des lumières et presque autant de philosophie que pour les bien employer.

« Ce n’est donc point seulement à la bassesse des historiens comme on l’a reproché avec justice à ceux des monarchies qu’il faut attribuer la disette des monuments d’après lesquels on peut tracer cette partie la plus importante de l’histoire des hommes… C’est à cette partie de l’histoire de l’espèce humaine, la plus obscure, la plus négligée, et pour laquelle les monuments nous offrent si peu de matériaux, qu’on doit surtout s’attacher dans ce tableau, et soit qu’on y rende compte d’une découverte, d’une théorie importante, d’un nouveau système de lois, d’une révolution politique, on s’occupera de déterminer quels effets ont dû en résulter pour la portion la plus nombreuse de chaque société ; car c’est là le véritable objet de la philosophie, puisque tous les effets intermédiaires de cette même cause ne peuvent être regardés que comme des moyens d’agir sur cette portion qui constitue vraiment la masse du genre humain. »

C’est donc le bien du peuple, de tout le peuple qui est le terme de toutes les sciences et leur mesure, comme il est le terme de la démocratie et sa mesure. « C’est en parvenant à ce dernier degré de la chaîne que l’observation des événements passés, comme les connaissances acquises par la méditation, deviennent véritablement utiles. C’est en arrivant à ce terme que les hommes peuvent apprécier leurs titres réels à la gloire, et jouir, avec un plaisir certain, du progrès de leur raison ; c’est là seulement qu’on peut juger du véritable perfectionnement de l’espèce humaine. »

Même si Condorcet s’était borné à dérouler le tableau du passé et à commenter le présent, il serait permis de dessiner l’idée qu’il se fait de l’avenir : c’est une pénétration toujours plus profonde de la démocratie et de la science, c’est l’application toujours plus hardie de ces deux forces au perfectionnement social et individuel de tous les hommes. Mais lui-même, dans l’ombre de la proscription, sous la menace et presque sous le coup de la mort, a développé les vastes perspectives de l’espérance humaine. Il a tracé les linéaments de la « dixième époque », et dessiné les progrès futurs de l’esprit humain. Il dit avec une netteté admirable :

« Nos espérances sur l’état à venir de l’espèce humaine peuvent se réduire à ces trois points importants : la destruction de l’inégalité entre les nations, les progrès de l’égalité dans ce même peuple, enfin le perfectionnement réel de l’homme. »

Et l’on voit quelle grande place l’idée d’égalité tient dans son système de l’avenir, notamment l’égalité sociale :

« Cette différence de lumières, de moyens ou de richesses, observée jusqu’à présent chez tous les peuples civilisés entre les différentes classes qui composent chacun d’eux, cette inégalité que les premiers progrès de la