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il est déjà une des victimes, il ne la maudit point ; il ne désespère point. Il ne la réduit ni à des incidents momentanés ni à des incidents locaux. Ce qu’on appelle la Révolution française n’est à ses yeux qu’un épisode d’une Révolution très vaste qui transformera tous les peuples, la seconde partie d’un prologue que la Révolution américaine a ouvert et qui s’élargira en un drame universel.

« Tout nous dit que nous touchons à une époque d’une des grandes révolutions de l’espèce humaine. »

Or, cette grande Révolution humaine qui se prépare et qui s’annonce est la suite de tout le long travail par lequel l’esprit de l’homme s’est élevé à plus de lumière.

Donc, pour la bien comprendre, il faut savoir de quels efforts de la pensée elle est sortie, et suivre dans l’histoire tout l’enchaînement de fait, de luttes, de découvertes qui y aboutit. Ainsi l’homme aura confiance en la Révolution nouvelle parce qu’elle n’est point un accident. Ainsi il saura comment il peut la seconder, la rendre plus efficace tout ensemble et plus pacifique ; car, née du progrès des lumières, la Révolution ne pourra s’accomplir que par ce progrès même, par l’éducation de la Raison dans tous les hommes qui sont appelés à participer à la liberté. Foi dans la Révolution, foi dans la science, c’est cette double et large palpitation qui soulève l’œuvre de Condorcet.

L’homme n’a pu se mieux connaître, il n’a pu étudier la société où il se meut et discerner son propre droit méconnu que par l’application de la raison ; mais cette raison ne s’est à la fois enhardie et éduquée, elle n’a appris l’audace et la méthode que dans la philosophie générale ; c’est en débrouillant le chaos du monde que l’homme est devenu capable de débrouiller le chaos social ; c’est en organisant avec méthode la mécanique, la physique, la chimie, l’histoire naturelle que, l’homme a eu tout ensemble la tentation et la force d’organiser la science des sociétés et la société elle-même ; et je ne puis, en cette trop rapide analyse, mieux caractériser la grandiose pensée de Condorcet que par le titre même de sa « Neuvième époque » : Depuis Descartes jusqu’à la formation de la République française. Dans ce qu’il dit plus particulièrement des choses politiques, il y a quelques traits vraiment admirables. C’est d’abord le souci d’adoucir, par la plus large diffusion des lumières, les inévitables souffrances de la Révolution à peine commencée :

« Qu’y a-t-il de plus propre à nous éclairer sur ce que nous devons en attendre, à nous offrir un guide sûr pour nous conduire au milieu de ses mouvements, que le tableau des révolutions qui l’ont précédée et préparée ? L’état actuel des lumières nous garantit qu’elle sera heureuse ; mais n’est-ce pas aussi à condition que nous saurons nous servir de toutes nos forces ? Et pour que le bonheur qu’elle promet soit moins chèrement acheté pour qu’elle s’étende avec plus de rapidité dans un plus grand espace, pour qu’elle soit